mercredi 6 mars 2013

Il arrive parfois qu'à la fin de la vie, on meure.

Je ne sais pas vous, mais des fois j'ai l'impression que les gens d'aujourd'hui ont oublié qu'à la fin de la vie on meurt.
C'est vrai, autrefois, les gens mouraient le plus souvent chez eux. Après le décès, ils restaient dans leur lit au moins 24h, et toute la famille, voire tout le village, défilait à leur chevet pour la veillée funèbre. Même les enfants voyaient le défunt. On portait le deuil pendant plusieurs mois, voire années. Aujourd'hui la mort ne se montre plus. On meurt à l'hôpital, et les gens qui meurent chez eux sont bien vite emmenés par les pompes funèbres. Les personnes endeuillées, après qu'on leur a tapoté sur l'épaule pendant 5 min, sont priées de retrouver bien vite leur bonne humeur et leur productivité sociale.

J'ai l'impression que cet éloignement de la mort dans notre société conduit les gens à oublier qu'elle est inéluctable pour tout un chacun. De cet oubli, naissent des attitudes qui me semblent déraisonnables, autant de la part des familles (les personnes âgées elles le plus souvent attendent la mort comme un soulagement), que des personnels soignants.
Des familles qui demandent des solutions qui n'existent pas pour guérir leur parent très âgé et multi-malade, des médecins qui s'entêtent à proposer des chimios, des chirurgies, alors qu'ils savent pertinemment (ou inconsciemment sans vouloir se l'admettre), que cela n'apportera rien au patient. Qui se lancent dans une réanimation cardio-pulmonaire sur des personnes de plus de 90 ans en arrêt cardiaque. Comme dit mon cher mari, urgentiste de son état, "Un arrêt cardiaque de plus de 90 ans, ça s'appelle un décès".

Encore hier, un médecin de ma tweet list nous racontait avoir vu en EHPAD (maison de retraite), un monsieur très âgé qui souffrait à la fois d'un infarctus du myocarde et d'un choc septique (deux pathologies déjà très graves prises isolément). Après avoir informé le médecin de l'EHPAD de sa décision, prise en accord avec le fils du patient, de ne pas mettre en route de traitement curatif, elle s'est entendu répondre par celui-ci: "J'espère qu'il s'en sortira". Mais non, bien sûr que non qu'il ne s'en sortira pas. Personne ne se sort d'un choc septique + infarctus sans traitement curatif. Il se trouve que l'heure de ce patient est venue et que le plus sage est de l'accompagner jusqu'au bout pour qu'il ne souffre pas et parte paisiblement.

Quand j'entends des histoires comme celles-ci, il me revient toujours en mémoire une "anecdote", si je peux l'appeler ainsi, qui s'est passée quand j'étais interne dans un service de médecine polyvalente.
Nous avions une patiente, âgée de plus de 80 ans, atteinte d'une insuffisance cardiaque très évoluée, et qui faisait régulièrement des décompensations, de plus en plus graves, et nous avions petit à petit atteint nos limites thérapeutiques. Il n'était pas question, étant donné son état général, de l'envoyer en réanimation, ni de lui faire subir une greffe cardiaque.
Sa fille cependant, ne voyait pas les choses de cet oeil, et nous demandait toujours ce que nous comptions faire de plus pour guérir sa mère. Je comprends tout à fait la détresse de cette femme qui voyait sa mère décliner un peu plus à chaque fois, mais ses demandes de traitement curatif ne pouvaient être satisfaites. Les médecins du service, les uns après les autres, tentèrent de lui expliquer l'impasse thérapeutique, de lui faire prendre conscience de la gravité de l'état de sa mère. Ils essayèrent en vain de lui faire accepter l'inéluctable, le décès prochain de cette vieille dame épuisée par son insuffisance cardiaque.
Un jour, voyant que toutes les tentatives diplomatiques avaient échoué, et fatiguée d'être harcelée de questions plus ou moins aggressives, l'assistante du service avec qui je faisais le tour ce jour-là se planta devant elle, la regarda droit dans les yeux, et lui dit: "Vous savez, il arrive parfois qu'à la fin de la vie on meure, Madame."

Vérité toute simple, mais qui semble de plus en plus oubliée ces temps-ci. 

© Dr Kalee

4 commentaires:

  1. Excellent billet plein de lucidité .
    Merci

    Quelque part, je me dis que cette attitude de négation de la mort à la fin de la vie vient de la publicité faite pour affirmer que la médecine est toute puissante.
    Mais qui dit publicité , dit quelque chose à vendre non ?

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  2. Cette phrase est superbe, il faut que je la note! Et puis elle est vraie... Sauf que parfois, la fin arrive un peu trop vite!

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  3. tu as très bien dit ces choses, on a tous des histoires comme ton anecdote. il faut oser parler simplement et franchement aux gens.

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  4. Plus on tentera de la dissimuler et plus elle nous fera peur. Il faut se faire une raison, c'est elle qui aura le dernier mot, en attendant vivons !

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