Je ne sais pas vous, mais des fois j'ai
l'impression que les gens d'aujourd'hui ont oublié qu'à la fin de
la vie on meurt.
C'est vrai, autrefois, les gens
mouraient le plus souvent chez eux. Après le décès, ils restaient
dans leur lit au moins 24h, et toute la famille, voire tout le
village, défilait à leur chevet pour la veillée funèbre. Même
les enfants voyaient le défunt. On portait le deuil pendant
plusieurs mois, voire années. Aujourd'hui la mort ne se montre plus.
On meurt à l'hôpital, et les gens qui meurent chez eux sont bien
vite emmenés par les pompes funèbres. Les personnes endeuillées,
après qu'on leur a tapoté sur l'épaule pendant 5 min, sont
priées de retrouver bien vite leur bonne humeur et leur productivité
sociale.
J'ai l'impression que cet éloignement
de la mort dans notre société conduit les gens à oublier qu'elle
est inéluctable pour tout un chacun. De cet oubli, naissent des
attitudes qui me semblent déraisonnables, autant de la part des
familles (les personnes âgées elles le plus souvent attendent la
mort comme un soulagement), que des personnels soignants.
Des familles qui demandent des
solutions qui n'existent pas pour guérir leur parent très âgé et
multi-malade, des médecins qui s'entêtent à proposer des chimios,
des chirurgies, alors qu'ils savent pertinemment (ou inconsciemment
sans vouloir se l'admettre), que cela n'apportera rien au patient.
Qui se lancent dans une réanimation cardio-pulmonaire sur des
personnes de plus de 90 ans en arrêt cardiaque. Comme dit mon cher
mari, urgentiste de son état, "Un arrêt cardiaque de plus de
90 ans, ça s'appelle un décès".
Encore hier, un médecin de ma tweet
list nous racontait avoir vu en EHPAD (maison de retraite), un
monsieur très âgé qui souffrait à la fois d'un infarctus du
myocarde et d'un choc septique (deux pathologies déjà très graves
prises isolément). Après avoir informé le médecin de l'EHPAD de
sa décision, prise en accord avec le fils du patient, de ne pas
mettre en route de traitement curatif, elle s'est entendu répondre
par celui-ci: "J'espère qu'il s'en sortira". Mais non,
bien sûr que non qu'il ne s'en sortira pas. Personne ne se sort d'un
choc septique + infarctus sans traitement curatif. Il se trouve que
l'heure de ce patient est venue et que le plus sage est de
l'accompagner jusqu'au bout pour qu'il ne souffre pas et parte
paisiblement.
Quand j'entends des histoires comme
celles-ci, il me revient toujours en mémoire une "anecdote",
si je peux l'appeler ainsi, qui s'est passée quand j'étais interne
dans un service de médecine polyvalente.
Nous avions une patiente, âgée de
plus de 80 ans, atteinte d'une insuffisance cardiaque très évoluée,
et qui faisait régulièrement des décompensations, de plus en
plus graves, et nous avions petit à petit atteint nos limites
thérapeutiques. Il n'était pas question, étant donné son état
général, de l'envoyer en réanimation, ni de lui faire subir une
greffe cardiaque.
Sa fille cependant, ne voyait pas les
choses de cet oeil, et nous demandait toujours ce que nous comptions
faire de plus pour guérir sa mère. Je comprends tout à fait la
détresse de cette femme qui voyait sa mère décliner un peu plus à
chaque fois, mais ses demandes de traitement curatif ne pouvaient
être satisfaites. Les médecins du service, les uns après les
autres, tentèrent de lui expliquer l'impasse thérapeutique, de lui
faire prendre conscience de la gravité de l'état de sa mère. Ils
essayèrent en vain de lui faire accepter l'inéluctable, le décès
prochain de cette vieille dame épuisée par son insuffisance
cardiaque.
Un jour, voyant que toutes les
tentatives diplomatiques avaient échoué, et fatiguée d'être
harcelée de questions plus ou moins aggressives, l'assistante du service avec qui je faisais
le tour ce jour-là se planta devant elle, la regarda droit dans les
yeux, et lui dit: "Vous savez, il arrive parfois qu'à la fin de
la vie on meure, Madame."
Vérité toute simple, mais qui semble
de plus en plus oubliée ces temps-ci.
©
Dr Kalee
Excellent billet plein de lucidité .
RépondreSupprimerMerci
Quelque part, je me dis que cette attitude de négation de la mort à la fin de la vie vient de la publicité faite pour affirmer que la médecine est toute puissante.
Mais qui dit publicité , dit quelque chose à vendre non ?
Cette phrase est superbe, il faut que je la note! Et puis elle est vraie... Sauf que parfois, la fin arrive un peu trop vite!
RépondreSupprimertu as très bien dit ces choses, on a tous des histoires comme ton anecdote. il faut oser parler simplement et franchement aux gens.
RépondreSupprimerPlus on tentera de la dissimuler et plus elle nous fera peur. Il faut se faire une raison, c'est elle qui aura le dernier mot, en attendant vivons !
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