Je vous avoue, sur mes 6 stages
d’interne, le stage de pédiatrie a été mon préféré. Parce
que déjà, depuis toujours, j’aime bien les bébés et les enfants.
J’ai eu un petit frère quand j’avais 12 ans, ça a peut-être
joué. J’ai fait ce stage alors que GrandMarmot avait 15 mois, donc
je me sentais assez proche des inquiétudes des jeunes parents.
Et puis, surtout, l’équipe du
service était vraiment super. Médecins très sympas, bon
encadrement.
Il y a dans chaque stage des patients
qui nous marquent plus que d’autres, mais quand je repense à mon
stage de pédiatrie, plusieurs petits visages me reviennent, avec
chacun leur histoire, plus ou moins heureuse. J’avais envie de vous
les faire rencontrer.
Il y avait Mélanie, 3 ans, qui
revenait chez nous régulièrement pour le suivi de sa greffe
hépatique. Elle avait été « rattrapée par les cheveux »,
selon l’expression consacrée, alors qu’elle était tout bébé
et qu’elle avait fait une hépatite auto-immune fulminante. Cette
gamine avait une joie de vivre incroyable malgré la lourdeur de son
histoire médicale, à chaque fois qu’elle venait un peu de soleil
entrait dans le service.
Il y avait Anaëlle, 8 mois. Un jour,
Anaëlle avait convulsé. On lui avait fait une IRM. On avait trouvé
un gros hématome sous-dural. On lui avait fait un fond d’œil qui
avait trouvé de multiples hémorragies rétiniennes. Tous les
médecins savent ce que ça veut dire. Anaëlle avait été secouée.
Beaucoup trop fort. On avait dû la transférer en urgence au CHU
pour lui drainer son hématome, puis lui poser une dérivation
ventriculo-péritonéale pour drainer son hydrocéphalie séquellaire.
Quand elle avait été un peu mieux elle avait été placée en
pouponnière. Elle revenait chez nous à chaque fois qu’un épisode
infectieux intervenait, et c’était souvent. En attendant la
justice s’occupait de chercher qui l’avait secouée. Papa et
Maman accusaient la nounou. Je ne sais pas si la justice a trouvé,
mais Anaëlle ne sera probablement jamais la jeune fille qu’elle
aurait dû être.
Il y avait Louis, nouveau-né, et sa
nouvelle maman de 40 ans, tellement flippée sur l’allaitement, la
prise de poids, les quantités… A force de rendez-vous rapprochés
et de pesées de surveillance, je crois qu’on avait fini par la
rassurer un peu. Je les ai recroisés tous les deux plusieurs mois
plus tard au hasard d’un remplacement. Louis avait l’air d’aller
bien. Sa maman semblait plus détendue.
Il y avait
Mathieu, 6 ans, hospitalisé d’urgence le jour où son petit frère
de 4 ans est mort d’une détresse respiratoire malgré les efforts
du SAMU. Mathieu a tenu à aller à la chambre funéraire dire au
revoir à son petit frère. On a découvert après que le petit frère
avait un thymome très évolué, qu’il allait mal depuis longtemps,
mais que la maman ne l’avait pas montré à un médecin. On a
découvert que Mathieu et son petit frère vivaient dans des
conditions déplorables. Mathieu a été placé. C’est dommage
qu’on ne s’en soit pas rendu compte plus tôt.
Il y avait Julie, 10 ans, qui vivait
écartelée entre deux parents divorcés qui se livraient une guerre
sans merci pour obtenir sa garde. Julie n’en pouvait plus. Elle ne
voulait plus les voir, ni l’un, ni l’autre. On essayait de
trouver une solution. En attendant elle vivait dans le service de
pédiatrie. Comme si c’était elle qui était malade.
Il y avait Adeline, 14 ans, qui avait
un jour décidé de sauter par la fenêtre de sa chambre. Au 2e
étage. Et qui s’était bien abîmé la figure et une vertèbre. Ça
aurait pu être pire. Ça nous avait permis de découvrir que son
père était un pervers manipulateur qui terrorisait toute la famille
depuis des années, y compris sa mère, qui tremblait pour ses
enfants, mais qui n’osait pas partir. De peur que le remède soit
pire que le mal. Finalement, voir sa fille se jeter par la fenêtre,
ça l’avait motivée. Elle a demandé le divorce, elle est partie
avec ses enfants. On peut raisonnablement estimer environ 4 siècles
de psychothérapie pour toute la famille.
Il y avait Théo, 22 mois, que j’ai
vu un soir aux urgences juste avant de partir et que j’ai fait
hospitaliser pour une pneumopathie bilatérale. En revenant le
lendemain matin, j’ai vu le matériel de SAMU posé devant la porte
de sa chambre. Mauvais augure. Théo était en train d’être intubé
avant d’être transféré en réa au CHU. C’était l’infirmière
du matin qui avait vite appelé le pédiatre d’astreinte en
arrivant, le voyant saturer à 70% sous 10L. L’infirmière de nuit
avait quant à elle consciencieusement écrit sur sa feuille de
constantes, toute la nuit : SaO2 92%, SaO2 89%, saO2 85%, SaO2
78%, etc… Visiblement ça ne lui avait pas posé plus de problème
que ça. Théo s’en est finalement sorti sans trop de dommages.
Mais l’ambiance dans le service a été assez électrique pendant
un petit moment.
Il y avait ces petits jumeaux, pas
encore nés. Leur maman s’était présentée à notre maternité
niveau 1 à 35SA. Les gynécos voulaient la faire accoucher là. La
pédiatre d’astreinte a refusé. La maternité niveau 1 n’est
autorisée à accueillir les accouchements qu’à partir de 36SA.
Elle a donc bataillé pour que la maman soit transférée avant la
naissance dans la maternité de niveau 2 la plus proche, en se
fâchant avec les gynécos. Ce qui a été fait finalement. Là-bas,
le travail s’est mal passé, il a fallu faire une césarienne en
urgence car les bébés souffraient. Le bloc obstétrical était loin
de la salle de travail. Il fallait prendre l’ascenseur. Un des
jumeaux n’a pas survécu. Quand elle a appris ça le lendemain, la
pédiatre a pleuré. Chez nous, le bloc obstétrical était juste à
côté de la salle d’accouchement. Et en plus tous ses collègues
étaient fâchés contre elle.
Il y avait Alice, 3 mois, qui depuis sa
naissance ne dormait jamais. Sa maman n'en pouvait plus. Elles
étaient hospitalisées toutes les deux en hospitalisation
mère-enfant, pour qu'on essaye de comprendre pourquoi ça n'allait
pas. Et puis un jour, la maman nous a raconté, la grossesse
précédente, les jumeaux nés très prématurément, qui n'avaient
pas survécu (encore, il ne fait pas bon être jumeau parfois .)
Elle pensait encore à eux tous les jours. Alors bien sûr, pour
Alice, ce n'était pas simple. Sentir l'esprit de maman occupé par
des souvenirs si tristes. Alors elle pleurait, pour lui rappeler
qu'elle était là, elle, bien vivante.
Il y avait Dylan, 2 mois, arrivé chez
nous avec sa maman, en hospitalisation mère-enfant encore, à la
sortie de la maternité. Sa maman avait un retard mental, et de gros
problèmes psychiques. On avait décidé de leur donner leur chance,
sous l’œil du personnel du service. Cahin-caha, sa maman essayait
de s'en occuper à peu près bien. Et puis un jour la maman a pété
un plomb, elle a agressé une infirmière du service. Elle a été
envoyée en psychiatrie en HDT. Dylan s'est retrouvé tout seul à
l'hôpital. Un jour, Dylan pleurait, c'était l'heure du biberon. Les
auxiliaires étaient occupées. Alors je lui ai donné son biberon. Je n'avais rien
(d'important) à faire. Et il avait faim.
Bien sûr toutes les histoires
n'étaient pas si particulières. Il y a eu des wagons de gastros, des
bus de bronchiolites, qui sont toutes rentrées chez elles sans
encombres.
Il y a eu la grippe A, aussi, oui j'ai
fait mon semestre de pédiatrie au moment de l'épidémie H1N1. Purée
qu'est-ce que ça a pu nous occuper ça. Quand je repense aux heures
que j'ai passées à essayer de convaincre les parents de la
maternité de se faire vacciner, et ceux de la pédiatrie de faire
vacciner leurs enfants, je suis songeuse. C'était la politique du
service. Je me suis vaccinée, j'ai vacciné mon fils. J'ai conseillé
à ma mère de faire vacciner mon petit frère. Avec le recul, ça
n'a probablement servi à rien.
Bon, ben tant pis. On apprend de ses
erreurs.
Mais au milieu de tous ces enfants qui
allaient bien et qui sont vite rentrés chez eux avec leurs parents
aimants, il y avait ceux-là, qui ont inscrit chacun leur petite
marque dans ma mémoire.
©
Dr Kalee
J'aime bien ton billet, il me rappelle mon stage de pédiatrie :))Moi aussi ça a été mon préféré!
RépondreSupprimerPlein de pensées à ces petits bouts qui n'ont pas toujours eu la vie facile...
Moi aussi en stage en pédiatrie pendant la grippe A... la même politique de vaccination, à fond, enceinte je m'étais fait vacciner... et le même recul après coup...
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