samedi 2 mars 2013

Brèves de Pédiatrie

Je vous avoue, sur mes 6 stages d’interne, le stage de pédiatrie a été mon préféré. Parce que déjà, depuis toujours, j’aime bien les bébés et les enfants. J’ai eu un petit frère quand j’avais 12 ans, ça a peut-être joué. J’ai fait ce stage alors que GrandMarmot avait 15 mois, donc je me sentais assez proche des inquiétudes des jeunes parents.
Et puis, surtout, l’équipe du service était vraiment super. Médecins très sympas, bon encadrement.

Il y a dans chaque stage des patients qui nous marquent plus que d’autres, mais quand je repense à mon stage de pédiatrie, plusieurs petits visages me reviennent, avec chacun leur histoire, plus ou moins heureuse. J’avais envie de vous les faire rencontrer.

Il y avait Mélanie, 3 ans, qui revenait chez nous régulièrement pour le suivi de sa greffe hépatique. Elle avait été « rattrapée par les cheveux », selon l’expression consacrée, alors qu’elle était tout bébé et qu’elle avait fait une hépatite auto-immune fulminante. Cette gamine avait une joie de vivre incroyable malgré la lourdeur de son histoire médicale, à chaque fois qu’elle venait un peu de soleil entrait dans le service.

Il y avait Anaëlle, 8 mois. Un jour, Anaëlle avait convulsé. On lui avait fait une IRM. On avait trouvé un gros hématome sous-dural. On lui avait fait un fond d’œil qui avait trouvé de multiples hémorragies rétiniennes. Tous les médecins savent ce que ça veut dire. Anaëlle avait été secouée. Beaucoup trop fort. On avait dû la transférer en urgence au CHU pour lui drainer son hématome, puis lui poser une dérivation ventriculo-péritonéale pour drainer son hydrocéphalie séquellaire. Quand elle avait été un peu mieux elle avait été placée en pouponnière. Elle revenait chez nous à chaque fois qu’un épisode infectieux intervenait, et c’était souvent. En attendant la justice s’occupait de chercher qui l’avait secouée. Papa et Maman accusaient la nounou. Je ne sais pas si la justice a trouvé, mais Anaëlle ne sera probablement jamais la jeune fille qu’elle aurait dû être.

Il y avait Louis, nouveau-né, et sa nouvelle maman de 40 ans, tellement flippée sur l’allaitement, la prise de poids, les quantités… A force de rendez-vous rapprochés et de pesées de surveillance, je crois qu’on avait fini par la rassurer un peu. Je les ai recroisés tous les deux plusieurs mois plus tard au hasard d’un remplacement. Louis avait l’air d’aller bien. Sa maman semblait plus détendue.

Il y avait Mathieu, 6 ans, hospitalisé d’urgence le jour où son petit frère de 4 ans est mort d’une détresse respiratoire malgré les efforts du SAMU. Mathieu a tenu à aller à la chambre funéraire dire au revoir à son petit frère. On a découvert après que le petit frère avait un thymome très évolué, qu’il allait mal depuis longtemps, mais que la maman ne l’avait pas montré à un médecin. On a découvert que Mathieu et son petit frère vivaient dans des conditions déplorables. Mathieu a été placé. C’est dommage qu’on ne s’en soit pas rendu compte plus tôt.

Il y avait Julie, 10 ans, qui vivait écartelée entre deux parents divorcés qui se livraient une guerre sans merci pour obtenir sa garde. Julie n’en pouvait plus. Elle ne voulait plus les voir, ni l’un, ni l’autre. On essayait de trouver une solution. En attendant elle vivait dans le service de pédiatrie. Comme si c’était elle qui était malade.
Il y avait Adeline, 14 ans, qui avait un jour décidé de sauter par la fenêtre de sa chambre. Au 2e étage. Et qui s’était bien abîmé la figure et une vertèbre. Ça aurait pu être pire. Ça nous avait permis de découvrir que son père était un pervers manipulateur qui terrorisait toute la famille depuis des années, y compris sa mère, qui tremblait pour ses enfants, mais qui n’osait pas partir. De peur que le remède soit pire que le mal. Finalement, voir sa fille se jeter par la fenêtre, ça l’avait motivée. Elle a demandé le divorce, elle est partie avec ses enfants. On peut raisonnablement estimer environ 4 siècles de psychothérapie pour toute la famille.

Il y avait Théo, 22 mois, que j’ai vu un soir aux urgences juste avant de partir et que j’ai fait hospitaliser pour une pneumopathie bilatérale. En revenant le lendemain matin, j’ai vu le matériel de SAMU posé devant la porte de sa chambre. Mauvais augure. Théo était en train d’être intubé avant d’être transféré en réa au CHU. C’était l’infirmière du matin qui avait vite appelé le pédiatre d’astreinte en arrivant, le voyant saturer à 70% sous 10L. L’infirmière de nuit avait quant à elle consciencieusement écrit sur sa feuille de constantes, toute la nuit : SaO2 92%, SaO2 89%, saO2 85%, SaO2 78%, etc… Visiblement ça ne lui avait pas posé plus de problème que ça. Théo s’en est finalement sorti sans trop de dommages. Mais l’ambiance dans le service a été assez électrique pendant un petit moment.

Il y avait ces petits jumeaux, pas encore nés. Leur maman s’était présentée à notre maternité niveau 1 à 35SA. Les gynécos voulaient la faire accoucher là. La pédiatre d’astreinte a refusé. La maternité niveau 1 n’est autorisée à accueillir les accouchements qu’à partir de 36SA. Elle a donc bataillé pour que la maman soit transférée avant la naissance dans la maternité de niveau 2 la plus proche, en se fâchant avec les gynécos. Ce qui a été fait finalement. Là-bas, le travail s’est mal passé, il a fallu faire une césarienne en urgence car les bébés souffraient. Le bloc obstétrical était loin de la salle de travail. Il fallait prendre l’ascenseur. Un des jumeaux n’a pas survécu. Quand elle a appris ça le lendemain, la pédiatre a pleuré. Chez nous, le bloc obstétrical était juste à côté de la salle d’accouchement. Et en plus tous ses collègues étaient fâchés contre elle.

Il y avait Alice, 3 mois, qui depuis sa naissance ne dormait jamais. Sa maman n'en pouvait plus. Elles étaient hospitalisées toutes les deux en hospitalisation mère-enfant, pour qu'on essaye de comprendre pourquoi ça n'allait pas. Et puis un jour, la maman nous a raconté, la grossesse précédente, les jumeaux nés très prématurément, qui n'avaient pas survécu (encore, il ne fait pas bon être jumeau parfois .) Elle pensait encore à eux tous les jours. Alors bien sûr, pour Alice, ce n'était pas simple. Sentir l'esprit de maman occupé par des souvenirs si tristes. Alors elle pleurait, pour lui rappeler qu'elle était là, elle, bien vivante.

Il y avait Dylan, 2 mois, arrivé chez nous avec sa maman, en hospitalisation mère-enfant encore, à la sortie de la maternité. Sa maman avait un retard mental, et de gros problèmes psychiques. On avait décidé de leur donner leur chance, sous l’œil du personnel du service. Cahin-caha, sa maman essayait de s'en occuper à peu près bien. Et puis un jour la maman a pété un plomb, elle a agressé une infirmière du service. Elle a été envoyée en psychiatrie en HDT. Dylan s'est retrouvé tout seul à l'hôpital. Un jour, Dylan pleurait, c'était l'heure du biberon. Les auxiliaires étaient occupées. Alors je lui ai donné son biberon. Je n'avais rien (d'important) à faire. Et il avait faim.

Bien sûr toutes les histoires n'étaient pas si particulières. Il y a eu des wagons de gastros, des bus de bronchiolites, qui sont toutes rentrées chez elles sans encombres.
Il y a eu la grippe A, aussi, oui j'ai fait mon semestre de pédiatrie au moment de l'épidémie H1N1. Purée qu'est-ce que ça a pu nous occuper ça. Quand je repense aux heures que j'ai passées à essayer de convaincre les parents de la maternité de se faire vacciner, et ceux de la pédiatrie de faire vacciner leurs enfants, je suis songeuse. C'était la politique du service. Je me suis vaccinée, j'ai vacciné mon fils. J'ai conseillé à ma mère de faire vacciner mon petit frère. Avec le recul, ça n'a probablement servi à rien.
Bon, ben tant pis. On apprend de ses erreurs.

Mais au milieu de tous ces enfants qui allaient bien et qui sont vite rentrés chez eux avec leurs parents aimants, il y avait ceux-là, qui ont inscrit chacun leur petite marque dans ma mémoire.

© Dr Kalee

2 commentaires:

  1. J'aime bien ton billet, il me rappelle mon stage de pédiatrie :))Moi aussi ça a été mon préféré!
    Plein de pensées à ces petits bouts qui n'ont pas toujours eu la vie facile...

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  2. Moi aussi en stage en pédiatrie pendant la grippe A... la même politique de vaccination, à fond, enceinte je m'étais fait vacciner... et le même recul après coup...

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