mardi 30 avril 2013

Apprendre son métier par les larmes.

Je n'ai pas souvenir d'avoir pleuré au boulot pendant mon externat. Par contre, pendant mon internat, chaque semestre et chaque lieu de stage a été le cadre d'un craquage nerveux. Il faut croire que c'est le métier qui rentre.

En premier semestre, j'étais en stage en service d'urgences médicales. En gros nous accueillions les patients qui étaient arrivés aux urgences, et qui avaient eu besoin d'être hospitalisés pour un problème médical (comprenez non chirurgical, hein, oui évidemment tout le monde est à l'hôpital pour un problème médical...), et qu'on n'avait pas pu caser dans un service de spécialité. On avait aussi parfois ceux que la réa ne voulait pas. Trop vieux, trop poly-pathologiques, pas assez graves... Donc parfois des patients sous VNI, sous amines... Une partie "psy" aussi, les tentatives de suicides, les dépressions graves, avant qu'on leur trouve une place en psy.
Le premier semestre, c'est toujours un choc. Un mois avant, on est externe, notre niveau de responsabilité avoisine celui de la plante verte, on est là 3h le matin et basta. Du jour au lendemain, on est l'interne, et c'est à nous de remplir la feuille de prescription de l'entrée poly-daubée de 3h du mat', parce que le senior nous a bien fait comprendre que si on pouvait éviter de le réveiller, ça vaudrait mieux. Hum... Moment de solitude...
Personnellement j'ai toujours manqué de confiance en moi, et me retrouver comme ça en responsabilité était paralysant, d'autant plus que je déteste les urgences. Alors il se trouve que dans l'ensemble, je ne suis pas trop poisseuse en ce qui concerne les gardes, et c'est ça qui m'a sauvé. J'ai eu la chance de ne pas me récupérer les gardes les plus infernales, de ne pas tomber sur les seniors les plus je-m'en-foutistes. Quand je tournais avec un senior compréhensif et qui comprenait que j'avais besoin d'étayage, tout allait bien.
Sauf avec ELLE. ELLE, c'était une PH de médecine interne, qui venait faire des gardes dans mon service. ELLE, elle était interniste, donc elle savait tout, et comme elle savait tout, elle ne comprenait pas que MOI, je ne savais pas tout (loin de là), et donc elle aimait bien me faire sentir comme une sous-merde.
Un jour de garde avec elle, nous avions reçu une dame transférée justement de médecine interne, parce qu'elle faisait un état de mal épileptique à type de crises partielles bizarroïdes. Rien qu'en voyant l'épaisseur du dossier fourni avec la dame j'ai cru défaillir.
Donc la gentille interniste m'a dit de m'occuper de l'entrée pendant qu'elle gérait d'autres choses. Sauf que moi, après avoir essayé d'examiner la dame qui convulsait toujours, et tenté une archéologie du dossier auquel je ne comprenais goutte, je me suis trouvée fort dépourvue. Quand elle est revenue une demi-heure plus tard et qu'elle a commencé à me pourrir à type de "quoi, mais t'as pas commencé les prescriptions, mais qu'est-ce que t'attends, que je te tienne la main" et autres gentillesses, tout cela devant l'externe qui manifestement aurait aimé pouvoir rentrer dans le mur, j'avoue que ma zénitude a flanché. J'ai quand même réussi à ne pas craquer devant elle, je ne voulais pas lui faire ce plaisir.
Par contre dès que j'en ai eu l'occasion, j'ai filé m'enfermer dans le bureau de l'assistante, la gentille, et là, la pauvre a été obligée de me faire une psychothérapie de soutien en urgence.Ce qu'elle a très bien et très gentiment fait d'ailleurs. Je ne l'en ai pas assez remerciée.
Globalement, je n'ai pas aimé ce stage, qui m'a confirmé que je n'étais faite ni pour l'hôpital ni pour les urgences, mais je ne me suis jamais sentie aussi nulle qu'en travaillant aux côtés de cette PH.

En deuxième semestre, j'ai été en stage dans une petite clinique en service de médecine adulte, un sympathique combo de gastro-entérologie (comprenez alcooliques et cancers), neurologie (comprenez AVC et démences), et pneumologie (comprenez encore cancers). Quand j'y repense,  cette clinique était un désastre au niveau de la permanence des soins. La nuit et le week-end, l'interne était seul sur place, avec un senior d'astreinte téléphonique (quand il voulait bien répondre). D'ailleurs, pour vous faire une idée, c'est à cette période qu'avait eu lieu la dernière grève des internes. Donc pendant quelques semaines il n'y avait plus d'interne de garde sur place. Et bien ils n'ont rien changé au système habituel, le senior d'astreinte est resté d'astreinte et il n'y avait donc aucun personnel médical sur place la nuit et le week-end. Tranquille... Il n'y avait pas de biologie  ni de radiologie sur place en dehors des heures ouvrables, et la procédure pour récupérer le dossier d'un patient suivi sur la clinique était tellement ubuesque que j'avais abandonné l'idée. Concernant les entrées sur la garde, nous n'avions aucune consigne particulière (pour les entrées directes notamment), et comme je n'avais pas la maturité pour évaluer la gravité potentielle par téléphone, et qu'à l'époque je ne savais pas dire non, ben globalement si j'avais la place je disais oui. Jusqu'à ce jour, et cette entrée.
C'était un week-end, en début de soirée, et j'ai reçu un appel d'une famille dont le père était suivi à la clinique pour un cancer du colon. Ils voulaient le faire hospitaliser parce qu'il n'allait pas très bien, il était fatigué, il avait de la diarrhée. Âme simple et généreuse, j'ai accepté. Je n'avais donc pas le dossier du monsieur, pour la raison détaillée ci-dessus. Le monsieur avait plus de 80 ans, était d'origine maghrébine si je me rappelle bien, et ne parlait pas très bien français. Ses enfants qui l'avaient amené ne savaient pas grand-chose sur sa maladie (quel stade, métastases ou pas, traitement curatif ou palliatif...) Bref, je naviguais à vue. Après cet entretien fort peu instructif, les enfants étaient partis sur la consigne suivante "Docteur, occupez-vous bien de notre papa s'il-vous-plaît". Ou comment mettre la pression à l'interne. Vous le voyez venir le gros iceberg, non? Moi à ce moment-là, non. Je m'en suis donc allée le coeur léger examiner mon nouveau patient. Bon, il n'était certes pas super en forme, un peu fatigué, un peu cerné, il avait mal au ventre, mais rien qui n'allumait mon alarme interne. Ses constantes étaient tout à fait correctes, et il ne présentait aucune défaillance d'organe. je m'en allai donc faire mes prescriptions, puis regagnai ma chambre de garde en attendant que l'infirmière lui pique son bilan, l'envoie au labo externe qui faisait les bios le week-end, et que les résultats reviennent. Tout ça n'allait pas prendre 5 min, vous pouvez imaginer. Environ 45 min plus tard, je me suis dit que la bio allait sûrement bientôt arriver, que j'allais donc remonter dans le service jeter un oeil au monsieur et voir tout ça. Vous le voyez se rapprocher le gros iceberg? Moi, à ce moment-là, toujours pas. Je suis donc tranquillement entrée dans la chambre du monsieur, et là, je crois que mon coeur a loupé quelques battements. Le monsieur avait décidé d'arrêter de vivre. Je suis restée complètement paralysée pendant quelques secondes, le temps que mon cerveau accepte d'intégrer cette information totalement inattendue, puis j'ai appelé l'infirmière, qui n'avait rien vu venir non plus (elle lui avait piqué son bilan 30 min avant, et ne m'avait pas rappelée). Le délai depuis l'arrêt était donc quelque par entre 0 et 30 min. Vous me voyez moi, interne de 2e semestre, toute seule sur la clinique, commencer une RCP en attendant que le SMUR se pointe dans dieu sait combien de temps? J'ai honte, mais je n'ai pas été capable de prendre cette initiative. Je suis restée à le regarder bêtement, puis j'ai éclaté en sanglot. Et l'infirmière de rajouter "ben oui mais aussi, on prend pas d'entrée directe d'habitude, c'est pas la procédure." OK, je note, je m'en souviendrais pour la prochaine fois. Elle avait raison sur le fond, mais là à ce moment ce n'était pas vraiment ce dont j'avais besoin...
Est alors venu le moment le plus fun de toute l'histoire, celui d'appeler la famille, pour leur annoncer le décès. Vous savez, ceux qui étaient partis en me demandant de bien m'occuper de leur papa? Ah oui, ça je m'en étais bien occupée. Je peux vous dire que j'ai passé un des plus sales moments de ma jeune carrière. Le coup de fil a été difficile. Par contre, une fois sur place, les choses se sont plutôt bien passées. Moi qui craignait de me faire insulter, menacer de procès ou je ne sais quoi, au final, la rencontre post-mortem a été assez douce. Considérant que je ne pouvais même pas leur expliquer pourquoi leur père était décédé, je trouve qu'ils ont été plus que tolérants.
Entre temps, l'infirmière avait appelé le labo pour faire annuler le bilan, devenu inutile. Finalement je les ai rappelés pour qu'ils le fassent quand même, parce que j'avais besoin de comprendre, et je me disais que le bilan pourrait peut-être m'apporter un début de réponse. Effectivement les résultats étaient plus que pourris. Les leucocytes, la CRP, la créat, les enzymes hépatiques, absolument tout était augmenté à des valeurs que je ne pensais même pas possibles. En tout cas pas compatibles avec la vie, la preuve...
Le lendemain avant de partir j'ai réussi à choper le médecin qui s'occupait de lui, déjà pour lui raconter les évènements, puis pour savoir quel était le contexte. Avais-je plié un papi en relative bonne santé (genre chimio adjuvante sur cancer du colon opéré N0M0?) ou un vieux monsieur très malade au bout de ses traitements? Au final, il s'est avéré (heureusement), que c'était plutôt la 2e option, un monsieur avec un cancer très avancé, plein de métastases, Nième ligne de chimio... Nous en avons conclu ensemble qu'il avait dû faire un choc septique fulgurant. Au final cela lui a peut-être évité quelques semaines d'agonie...
Mais sur le coup, quelle soirée horrible. Je crois que cette garde fut une de mes pires. Et pour les suivantes, je n'ai plus JAMAIS accepté d'entrée directe. Pas folle.

Troisième semestre, de nouveau stage de médecine adulte dans le petit hôpital périphérique de PetiteVille (genre, un service d'urgence, un service de médecine, un service de chirurgie. Service de chirurgie que je ne conseillerai pas à mon pire ennemi d'ailleurs... Mais c'est une autre histoire.)
Ce semestre-là s'est plutôt bien passé, l'équipe était sympa, très encadrante (parfois limite trop même, arrivée en 3e semestre). Pas de gros traumatisme professionnel ce semestre.
Seulement, arrivée à l'évaluation de fin de semestre avec le chef, la petite remarque qui fait plaisir: "j'ai trouvé que tu n'étais pas toujours bien concentrée, bien au courant sur tes patients..." Ah oui, ce que j'ai oublié de vous dire, c'est que je suis tombée enceinte au début du stage, je l'ai donc fini enceinte de 5 mois. J'ai passé la majeure partie des tours du matin à chercher un endroit pour m'asseoir pour ne pas tomber dans les pommes, à m'éclipser pour manger des biscottes et des compotes avant de défaillir d'hypoglycémie, puis pour aller les vomir discrètement 20 min plus tard... Vous en conviendrez, on a connu mieux pour être concentrée et bien connaître ses patients...
Bon, cela dit ça ne m'a pas fait pleurer. Globalement, vomi mis à part, ce fut un très bon stage.

Quatrième semestre, je n'ai même pas eu besoin d'attendre le début du stage pour pleurer. J'étais donc enceinte de 5 mois, je ne devais faire que 2 mois 1/2 de stage avant d'être en congé mat. La fac n'avait pas jugé bon de m'attribuer un poste en surnombre, et par conséquent, le service que j'allais choisir allait se retrouver sans interne au bout de 2 mois 1/2. Vous pouvez imaginer que j'ai été bien reçue, lorsque comme je le faisais avant chaque début de stage, je suis allée me présenter au chef de service. Il fut infect, qu'il en avait marre des femmes enceintes, que je n'avais qu'à prendre une dispo (oui, merci, mais j'ai un peu un crédit à payer monsieur...). Bref, l'entrevue fut tout juste courtoise, et je me retrouvais bien vite dehors, sur le trottoir, en larmes. Avec l'impression de m'être fait jeter uniquement du fait de ma grossesse. Alors oui je comprends l'embarras de chef qui se retrouve sans interne pendant 3 mois 1/2. Mais qu'y puis-je? J'avais demandé un poste en surnombre, on me l'avait refusé. Voilà, il fallait bien que je choisisse un poste.

Bon, comme je sens que je commence à vous endormir, je vais m'arrêter là pour cette fois, et je vous raconterai la suite de mes aventures lacrymales une autre fois...

© Dr Kalee
Billet sponsorisé par Kleenex (non j'déconne)

4 commentaires:

  1. Ah là là ça réveille des souvenirs et des boules au ventre... Comme tu le dis, j'ai jamais pleuré ou craqué externe, mais une fois interne... surtout les premiers stages, la claque dans la gueule et les larmes refoulées (ou pas) régulièrement... encore plein de choses à mettre par écrit...

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  2. Assez d'accord que globalement, l'externat ne prépare pas du tout à être interne. Un peu comme regarder des photos de piscine et se retrouver balancée dans le grand bain. J'ai bu la tasse une ou deux fois, pas mal fait le petit chien avant d'arriver à surnager. Personnellement, j'ai trouvé que les infirmières et les secrétaires étaient parfois d'une plus grand aide que certains chefs.

    Cela dit, mes plus belles claques je me les suis prises alors que j'étais déjà diplomée. Ca secoue.

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  3. plus je lis de blogs medicaux et plus je m’aperçois qu'on a tous vécu des moments pénibles, pourtant j'avais pas cette impression à l'époque, plutot l'idée que mes co-internes se démenaient mieux que moi...On devait pas être assez proche pour se raconter nos peripeties!
    mounblue

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  4. À la veille de mon changement de stage, direction la pédiatrie puis la gynécologie au CHU, ton article m'a fait du bien. Nous sommes tous pareils.
    Encore merci.

    B.

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