jeudi 2 mai 2013

Apprendre son métier par les larmes (2e partie)

Je vous avais donc laissé en 4e semestre, au moment de ma pause bébé. Pause bébé qui elle-même fut riche en crises de larmes, mais bon, là au moins j'avais l'excuse des hormones, la fatigue, tout ça...

J'ai donc repris le boulot plusieurs mois plus tard, après un bébé et un déménagement, en stage de médecine générale en cabinet. Première expérience de la médecine non hospitalière, si l'on excepte les 2 jours qui j'avais passés chez un médecin généraliste en dernière année d'externat (médecin fort charismatique par ailleurs, qui fut plus tard mon directeur de thèse). Comment vous dire à quel point le choc fut rude. La rencontre avec la médecine ambulatoire, après plusieurs mois de pause cérébrale, fut très douloureuse. Cette impression de ne rien savoir, d'être pire que nulle... Que des pathologies et des traitements non enseignés à la fac. Ben oui, en cours on ne m'avait jamais appris à soigner des tendinites, des bronchites, des harcèlements professionnels...
Pendant quelques mois, je fus persuadée que jamais je ne serais capable d'exercer ce métier. Ce fut ma phase "nan mais de toutes façons je vais faire médecin de PMI".
Un jour, une consultation en particulier me fit vraiment ressentir cette incompétence que je me traînais. Nous étions dans la phase de supervision directe, c'est-à-dire que c'était moi qui menais la consultation, en présence de mon maître de stage, qui pouvait ainsi reprendre la main si nécessaire. Déjà, rien que cette configuration, travailler en ayant quelqu'un de plus compétent à coté de moi qui était témoin de mes errements, ça me mettait hyper mal à l'aise. Surtout que je ressentais, ou du moins avait l'impression de ressentir, qu'il me trouvait vraiment un peu limitée.
Donc ce jour-là nous avions en face de nous cette jeune femme d'une vingtaine d'année, manifestement pas hyper stable sur le plan psychologique, pas très heureuse dans sa vie en générale. Elle était venue consulter pour des problèmes de migraines récidivantes, mais mélangées avec des symptômes de crises d'angoisse, d'hyperventilation, de tétanie... Le cas typique de symptômes flous, intriqués, non systématisés, la consultation très difficile à débrouiller quand on n'a pas d'expérience. Je me suis complètement laissé noyer dans la masse des symptômes, et je perdais pied, si bien que mon maître de stage dut reprendre la main et cadrer un peu plus les choses. Lorsque la patiente eut quitté le cabinet, le maître de stage me fit une petite réflexion, très anodine à posteriori, mais qui appuya directement sur le sentiment d'échec énorme que je ressentais à ce moment-là, et ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Les larmes se mirent à déborder, devant mon maître de stage stupéfait, qui se demandait bien pourquoi je me mettais dans un état pareil.
Après quelques minutes à prendre l'air dehors, il me demanda de reprendre ma place derrière le bureau, "parce qu'il ne faut pas rester sur un échec". Il avait raison.
Globalement, maintenant que j'ai (un peu) d'expérience, je n'approuve pas du tout la médecine qu'il pratiquait, à base de copinage avec tous les VM du coin, de Crestor, de Rhinadvil etc... Mais je lui sais quand même gré d'avoir eu beaucoup de patience et de persévérance, pour me permettre de dépasser mes carences, et de commencer à entrevoir la médecine générale. Même si j'ai dû depuis désapprendre une bonne partie des conduites à tenir que j'ai apprises chez lui...

En cinquième semestre, j'ai fait mon stage de pédiatrie, dans un petit hôpital (moins petit que le précédent cela dit, il y avait quand même plusieurs services de médecine et de chirurgie, des urgences avec une antenne SMUR une maternité niveau 1, et mon service de pédiatrie). Je vous en ai déjà un peu parlé ici. Globalement ce stage fut vraiment super, l'équipe médicale vraiment sympa et encadrante. Le stage hospitalier que j'ai le plus apprécié. Ce n'est pas tous les jours que se montent une chorale et un quatuor à cordes composés de médecins et internes de l'hôpital, pour faire une représentation devant les vieux de l'EHPAD d'en face, auxquels étaient mélangés les enfants placés de la pouponnière d'à côté. Si si, nous l'avons fait!
Bref, peu de motifs de craquage nerveux dans ce stage. Sauf qu'au début, quand tu es interne et que tu arrives dans un nouveau service, il y a toujours une phase d'apprivoisement de l'équipe infirmière. Tu dois faire tes preuves sur ta compétence médicale (oui, quand on met face à face un interne de médecine générale et des infirmières puéricultrices de 20 ans d'expérience, souvent ce ne sont pas les plus diplômés les plus compétents), ainsi que sur ta compétence "humaine", ou "hiérarchique", enfin, quelque chose de difficile à définir en un mot, qui pourrais se décrire ainsi: vas-tu être un interne sympa, qui respecte les codes du service (c'est-à-dire, principalement dire bonjour à toute personne que tu croise dans un couloir, quelque soit l'heure de la journée et si tu la connais ou non, ne pas marcher dans le mouillé, apporter de temps en temps des douceurs), ou vas-tu être un interne chiant, c'est-à-dire hautain, imbu de sa personne, qui ne parle pas au "petit personnel". En début de stage, il faut vraiment savoir marcher sur des oeufs pour trouver sa place sans froisser les susceptibilités locales.
Je me suis donc lancée dans une discrète stratégie d'amabilités envers l'équipe soignante, faisant des sourires et des bonjours à tout un(e) chacun(e) (oui les services de pédiatrie sont très pourvues en chacune et très peu en chacun, allez savoir pourquoi). J'essayais d'asseoir doucement ma légitimité, répondant aimablement à quelques tentatives plus ou moins discrètes de remises en cause de mes prescriptions. Il faut savoir que tout ce tralala me coûte beaucoup, moi qui suis d'un naturel plutôt timide et assez peu sûre de moi. Ces espèces de jeux de rôles imposés pour juger de la valeur d'une personne me mettent assez mal à l'aise.
Quoi qu'il en soit, après environ un mois et demi ou deux mois de stage, alors que je commençais à me dire que j'allais pouvoir lâcher un peu de lest et que l'intégration se passait plutôt bien, voilà-t-il pas que la chef de service me prend un jour entre quatre yeux pour me dire: tu sais, l'équipe m'a parlé un peu de toi, elles te trouvent assez froide, distante, pas très aimable... QUOI!!!! Après tous les efforts relationnels que j'avais faits!!! J'en suis restée bouche bée. A ce moment-là, un immense sentiment d'injustice devant tant d'efforts non récompensés.
Cet entretien continua à me travailler toute la journée, jusqu'au moment où, un peu plus tard, l'assistante me dit: ça va toi, t'as l'air pas dans ton assiette? Oups, fallait pas demander... Vlam, ouvrez les vannes, crise de larmes en vue...
Bon, j'en conviens, tout cela n'est pas très grave, et d'ailleurs, par la suite, les choses se sont très bien arrangées entre l'équipe et moi, et le semestre s'est terminé dans une ambiance de franche camaraderie blagueuse. Mais je dois dire que sur le coup, je n'ai pas très bien encaissé. Comme quoi, il est toujours délicat de se faire une place dans une équipe déjà constituée, et d'évaluer ce que les gens attendent que tu sois.

Et enfin, pour terminer, sixième et dernier semestre, nouveau stage en médecine générale, en autonomie cette fois. A l'époque on appelait ça SASPAS, maintenant je crois qu'on dit stage de niveau 2. En gros, le but est que l'interne passe très vite en supervision indirecte, c'est-à-dire assure seul les consultations, avec possibilité de joindre son maître de stage en direct en cas de difficulté, et débriefing des consultations en fin de journée. J'ai fait ce stage chez 3 médecins, assez différents de personnalité mais tous les trois très accueillants. Tous les trois adeptes d'EBM et non adeptes des visiteurs médicaux.
C'est là que j'ai réalisé que j'allais devoir désapprendre une bonne partie des réflexes que j'avais appris lors de mon premier stage. C'est là que j'ai commencé à apprendre la VRAIE médecine générale, enfin la vraie à mon sens.
Un des 3 maîtres de stage était vraiment attentionné, à l'écoute de son interne, mais en même temps, très minutieux dans sa façon de travailler, et limite psychorigide. Il faisait "comme ça", et il y avait pas à déroger. Il avait créé son propre logiciel médical (déjà, rien que ça... le truc de grand malade...), dans lequel l'interne avait sa propre session, et qui lui sortait en fin de journée toutes les actions que j'avais faites dans la journée. Il les passait ensuite toutes en revue une par une pour les discuter. Alors bien sûr ça part d'un très bon principe, mais quand il faut justifier le moindre détail de ce que tu as fais, à un moment ça peut devenir lourd. Surtout que sa façon de faire était à mille lieux de celle que j'avais apprise dans mon précédent stage, donc au début, je me faisais reprendre sur absolument TOUT. C'était un tantinet décourageant...
Bon, je suis pas bête, j'apprends, et petit à petit j'ai compris comment il fonctionnait, même si j'avais parfois du mal à m'y conformer (genre, monsieur maçon a un lumbago, raide comme un piquet, eh ben à la première consult c'est paracétamol et point barre. S'il a encore mal dans 48h il revient et on augmente le traitement. Bah oui mais là, juste c'est évident que ça va pas suffire le paracétamol. Oui mais non, c'est COMME ÇA. Bon.)
Donc j'essayais de faire les choses selon SES règles, j'y arrivais plus ou moins. Et puis à la fin du stage, je suis tombée enceinte (oui encore, j'en ai 2). Premier trimestre de grossesse, chez moi, c'est GROSSE fatigue et somnolence, et puis un peu de nausées, sinon c'est pas rigolo. Donc là j'avoue que le pinaillage de détail à 18h30 alors que j'avais lutté toute la journée pour pas m'endormir en face du patient, j'appréciais moyen. Alors le jour où il m'a fait une remarque (pas méchante hein, il n'était jamais méchant), sur un cas que je pensais avoir blindé au niveau règles de l'art maison, la cocotte a débordé. Je me rappelle parfaitement la scène, moi qui fond en larmes, lui qui, comme le premier maître de stage se demande bien ce qui se passe. "Vous inquiétez pas, c'est les hormones", lui ai-je dit. "Ah bon, pourquoi, t'es enceinte?" "Oui" "Ah bon, mais fallait me le dire!" Oui, désolée je l'ai même pas encore annoncé à ma famille alors... Bref, à partir de ce jour là il a été super compréhensif, m'a même renvoyé chez moi dormir un jour où j'arrivai au cabinet complètement décalquée (j'avais 45 min de route à l'époque). Rien à dire, un très bon MSU, impliqué, à l'écoute. C'est pas de sa faute si je me suis mise à pleurer, c'était LES HORMONES!


Voilà tout l'historique de mes exploits lacrymaux pendant l'internat. J'ai déjà eu suite au premier billet, quelques gentils commentaires sur Twitter à base de "oh ma pauvre, quel internat de merde", toussa. D'abord merci à ceux qui ont eu des mots gentils, mais je voudrais quand même rétablir la vérité. En vrai mon internat n'a pas été du tout si terrible que ça. Là je vous ai raconté les mauvais moments, mais il y en a eu pleins d'autres meilleurs. Globalement j'ai toujours pu choisir des stages corrects, par rapport à d'autres qui se sont vraiment retrouvés dans des situations merdiques. Certains de mes collègues de promo ont vécu des galères BIEN pires. Et je parle pas des internes de spé.
Et à toux ceux qui m'ont laissé des commentaires du type, "ah alors ça n'arrive pas qu'à moi? Je croyais que c'était moi qui était nul/le et mes collègues tous meilleurs que moi...", bah non! On est tous pareils (bon OK certains sont plus doués et/ou dégourdis que d'autres), mais globalement, jetés dans un grand bain sans avoir appris à nager, on se démerde comme on peut pour pas se noyer, et pas noyer les patients avec si possible.
En espérant que les choses s'améliorent, qu'on arrive enfin à mettre les gens en responsabilité PROGRESSIVEMENT (on y arrive très bien pour les élèves IDE, je vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire pour les externes/internes), et qu'enfin, les futurs médecins généralistes ne découvrent pas leur VRAI métier au bout de SEPT ans d'études à l'hôpital.
C'est pourquoi dès que je serais installée, j'aurai grand plaisir à accueillir des étudiants. Même si j'ai la trouille de me retrouver face à un étudiant beaucoup plus doué que moi, et de passer pour une quiche... (On ne se refait pas...)

6 commentaires:

  1. "qu'enfin, les futurs médecins généralistes ne découvrent pas leur VRAI métier au bout de SEPT ans d'études à l'hôpital."

    Si seulement...

    Ce billet ne se cantonne pas aux déboires lacrymaux, et il y a tout plein de thèmes, certains déjà abordés, d'autres que j'aimerai vous voir développer, Dr Kalee !


    PS : Au fait, tout le monde pleure. Moi c'était pas les hormones, c'était la fatigue. Chacun sa faille ;)

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    1. La fatigue marche bien aussi. Le combo fatigue+hormones est explosif.
      Quels thèmes souhaiteriez vous voir développer?

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  2. "Même si j'ai la trouille de me retrouver face à un étudiant beaucoup plus doué que moi, et de passer pour une quiche..."

    Nan mais TELLEMENT pareil ! Je crois que c'est mon unique frein psychologique pour quand je serai un vrai docteur... :(

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  3. merci de temoigner de ce que beaucoup d'entre nous avons vécu durant ces etudes de medecine sans savoir qu'on était en réalité pas seuls dans ces épreuves!
    Juste j'aimerais rétablir une verité qui est que les étudiants IDE en bavent sinon plus du moins autant que nous durant leurs études en particulier en stage à l'hôpital. J'en parle en connaissance de cause (2 personnes de mon entourage en ont fait les frais et m'ont raconté que ça concernait aussi la plupart de leurs amis de promotion.
    mounblue

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  4. Bon je découvre ce blog et ce post bien après la bataille (Par twitter en fait) mais je me retrouve tout à fait!C'est dingue!Es-tu rentrée dans ma tête pour écrire tout ça ?;-) Moi aussi j'ai la larme facile!(de base alors quand je suis enceinte je ne te fais pas de dessin !)
    On la crée ensemble cette MSP?C'est dommage je crois pas qu'on soit dans le même coin,même si les situations décrites ressemblent beaucoup.

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