mardi 26 février 2013

Le retour de la vengeance des Infiltrés (partie 1)

Vous avez peut-être vu, vendredi 22 février dernier sur France 2, l'émission "Les Infiltrés", présentée par Marie Drucker, intitulée "Laboratoires pharmaceutiques, un lobby en pleine santé". En tout cas moi je l'ai regardée, et une grande partie de mes touittamis aussi, si j'en crois le nombre de tweets qui ont volé dans tous les sens au cours de l'émission.

Personnellement je n'y ai pas appris grand chose de nouveau. Mais cette émission a le grand mérite d'avoir exposé ces pratiques au grand jour, et en cela elle est salutaire.
C'est pourquoi l'idée m'est venu d'en faire un commentaire composé, à l'usage de ceux qui ne l'auraient pas vue, et même de ceux qui l'ont vue.

Pour plus de clarté, le résumé de l'émission et les propos qui en sont tirés sont en caractères normaux (j'ai pris des notes rapidement, il est possible que les formulations soient légèrement modifiées), mes commentaires sont en italique. L'émission était assez longue, donc je l'ai découpée en plusieurs parties. Deux ou trois, on verra. Allez, c'est parti.

Présentation du sujet de l'émission par Marie Drucker.
Pour commencer, je voudrais rendre un hommage appuyé au tailleur rose fuschia de Marie Drucker. Qui eût cru qu'une Roselyne Bachelot sommeillait en elle?

Les questions que pose l'émission:
Comment des médicaments inutiles voire dangereux arrivent-ils sur le marché? Pourquoi y restent-ils et sont même remboursés par la Sécurité Sociale?
Comment les laboratoires parviennent-ils à faire pression sur certains médecins ou députés pour rester dans la course au profit dans un marché très concurrentiel?

Plantage de décor:
L'industrie pharmaceutique française est l'une des plus puissante du monde avec 50 milliards d'euros de chiffre d'affaire par an et plus de 110 000 emplois. 150 nouveaux médicaments arrivent sur le marché français chaque année (pas que par les labos français bien sûr...). Ils visent surtout des marchés rentables: des maladies pour lesquelles le patient prend un médicament tous les jours toute sa vie (par exemple le diabète, le cholestérol, l'hypertension artérielle).

Comment les laboratoires lancent-ils un médicament? L'émission a donc infiltré un journaliste dans un laboratoire, et une équipe auprès de visiteurs médicaux et de médecins.

1ère séquence:
Un journaliste se fait embaucher comme stagiaire au service marketing d'un labo ("un des plus gros").
On peut critiquer le principe de la caméra cachée, principe de base de la série d'émissions "Les Infiltrés". Mais force est de constater qu'en agissant à découvert ils n'auraient jamais pu récolter les images qui vont suivre... Personnellement je considère donc que la fin en vaut les moyens. Cela dit, les images aux trois quarts floutées, c'est pas très agréable à regarder...

Donc, le labo en question prépare une grande campagne de communication sur un nouvel antidiabétique oral (ADO) qui se trouve être sur la liste des 77 médicaments surveillés par l'AFSSAPS. Nouvel ADO, un des plus gros labos français, liste AFSSAPS: vildagliptine ou Galvus° de chez Novartis. Je sens que je vais me faire troller par Novartis.
Le journaliste (qui fait très bien son candide...) pose donc la question à sa chef de la présence de ce médicament sur la fameuse liste. Laquelle lui répond en gros "c'est rien, ça concerne tous les médicament sortis depuis 2005. Pas de souci".
Alors, souci ou pas souci: pour être précis, la liste de l'AFSSAPS date d'il y a 2 ans. Depuis l'AFSSAPS ne s'appelle plus l'AFSSAPS mais l'ANSM et son site présente 3 listes de médicaments: la liste des médicaments retirés, la liste des médicaments sous surveillance renforcée, et la liste des médicaments faisant l'objet d'un Plan de Gestion des Risques. En gros s'il y a des doutes sur un médicament, on lui colle un Plan de Gestion des Risques. Si les doutes sont vraiment gros, on le met sous surveillance renforcée, et quand les doutes ne sont plus des doutes, on le retire. Sachant qu'il peut se passer des années et donc beaucoup de victimes avant d'en arriver là.
Donc les gliptines, puisqu'il semble bien que ce soit d'elles qu'on parle, sont dans la liste des Plans de Gestion des Risques. Bon. Tous les médicaments de cette liste ne sont peut-être pas à jeter avec l'eau du bain, tous ne seront sûrement pas retirés au bout du compte, mais quand même, à mon humble avis, c'est une GROSSE incitation à la prudence concernant les prescripteurs. Pour moi, ça veut dire qu'il est urgent d'attendre avant de prescrire ce médicament.

Quel a été l'avis de la HAS sur ce médicament: elle l'a classé en ASMR 5. Le journaliste explique le principe de l'ASMR (Amélioration du Service Médical Rendu), coté de 1 à 5. Classe 5, ça veut dire, pas d'amélioration. Donc, ce médicament n'apporte RIEN de mieux dans le traitement du diabète vis-à-vis des traitements déjà disponibles.
Il y a des suspicions de risques cardiaques, cutanés et hépatiques et il coûte 6 fois plus cher que les traitements de base. Mais il est remboursé par la Sécurité Sociale (nos sous faut-il le rappeler...).

Le laboratoire a donc décidé de commencer sa campagne de promotion dans un département d'outre-mer où on trouve beaucoup de diabétiques (10% de la population).

2e séquence:
Une 2e équipe se fait passer pour des journalistes qui réalisent un reportage sur le diabète dans ce DOM. Ils accompagnent une visiteuse médicale du laboratoire.

Le labo veut donc fournir gratuitement aux pharmaciens des machines qui réalisent un test sanguin de l'hémoglobine glyquée, afin de vérifier si les patients diabétiques sont bien équilibrés.
Bien entendu faire faire ça par le pharmacien c'est se substituer au rôle du médecin. Et du biologiste.

La VM va donc ensuite rencontrer un médecin généraliste pour lui exposer cette initiative. Extraits de la conversation:
VM: "On peut entrer, on en a pour 2 minutes?" (Note: les VM en ont TOUJOURS pour 2 minutes. Au final ils restent 10 à 15.)
VM: "Ce qui vous intéresse, dans le diabète, c'est quand même l'Hb glyquée?"
MG: "Je voie pas ça comme ça. C'est le patient qui m'intéresse."
VM: "Oui mais je veux dire qu'ils soient contrôlés. (...) Est-ce que vous pensez que c'est une bonne idée que le pharmacien puisse contrôler l'Hb glyquée du patient?"
MG: "Non, c'est le médecin qui fait ça."
VM: "Parce que en fait le labo nous a proposé de fournir des machines aux pharmaciens."
MG: "Je vous le dit tout de suite moi je ne vais pas du tout adhérer à ça."
VM: "D'accord. C'est pour ça que je vous le demande. Nous le but c'est plus l'accompagnement du patient dans le sens..."
MG: "Attendez, le labo X n'est pas un labo public?"
VM: "Non, c'est privé"
MG: "C'est privé. On est dans une société capitaliste. Une entreprise elle n'a qu'un truc à faire, c'est du fric. Ne me dites pas que votre intérêt c'est le patient."
VM: "Notre intérêt..."
MG: "C'est de faire monter le chiffre d'affaires".
VM: "Bien sûr. Mais c'est que le patient soit bien contrôlé quand même."
MG: "Mais non."

Je dois avouer que j'ai trouvé ce dialogue (de sourd), très savoureux. Pour un médecin choisi au hasard, mauvaise pioche, Mme la VM... Ce médecin a compris 2 choses fondamentales: on soigne un patient, et pas son Hb glyquée, et ensuite, un laboratoire n'est PAS une entreprise philanthropique. Ce qu'il fait a TOUJOURS une implication marketing. Dans mes bras ami généraliste. Je pense que la prochaine étape, en toute logique, c'est que tu arrêtes de recevoir les VM.

Cependant, si les généralistes ne sont pas très dociles, c'est pas grave, il y a les diabétologues!
L'équipe va donc ensuite à l'hôpital rencontrer une diabétologue.

2e conversation:
VM: "Il y a des médecins qui ne veulent pas que les pharmaciens le fassent. (Ouh les vilains...) Nous on voit ça du côté patient, le médecin il voit ça du côté business." Alors là je dois dire que les oreilles m'en tombent. L'hôpital se fout de la charité, ou comment inverser les rôles...

Ensuite le journaliste interroge la diabétologue sur le fait que le MG désapprouve l'installation des machines par le labo.
D: "Je ne vois pas très bien en quoi ça peut gêner hein... Il y a des ultras qui sont anti-labo, et qui veulent absolument que tout se fasse indépendamment des labos. Mais là ça paraît sans raison particulière pour eux"
J: "Vous pensez pas que le fait que ce soit le labo qui propose ces machines-là, ça va leur rapporter quelque chose sur leurs médicaments à eux en particulier?"
D: "Non puisque celui qui prescrit c'est le médecin et pas le pharmacien." Donc le labo fait ça par grandeur d'âme.
J: "Et pourquoi ils le font alors à votre avis?"
D: "Je suis peut-être naïve... (C'est pas moi qui l'ai dit!!) Mais c'est peut-être un service rendu pour le patient. Je vois pas ce que ça peut leur apporter. En quoi le labo peut avoir un retour sur ses médicaments puisque le médecin reste libre de prescrire ou de ne pas prescrire. On va pas prescrire plus le labo X parce qu'ils ont donné un appareil." Ben si ma cocotte. C'est démontré. Un conseil, amie diabétologue: enlève tes œillères de naïveté. Ça te fera du bien.

Ensuite la VM explique au journaliste comment elle s'y prend pour faire prescrire ses médicaments par les médecins. Elle paye régulièrement le déjeuner à quelques médecins. Ça multiplié par chaque VM, "il y en a qui mangent tous les jours gratuit."
Sinon, le labo paye aussi un voyage de 8 jours à Paris à 10 médecins pour assister aux Entretiens de Bichat. On est dans les DOM je rappelle, donc le voyage ne se fait pas en TGV, et les médecins sont hébergés au Concorde Lafayette, pas à l'Ibis du coin.
"Tous les gros labos font ça". Ah ben, si tout le monde le fait, alors ça va, je suis moins choquée.

Le journaliste: "Et donc ils prescrivent beaucoup après?"
La VM: "Ils ont intérêt. Là on les presse. On leur dit pas vous partez et après vous prescrivez. Vous prescrivez et après on verra si vous partez. (...) Et là je vais à la pharmacie pour savoir. De toute façon c'est donnant-donnant."
Et là un mot vient de faire irruption dans mon esprit. Il commence par COR... et finit par ...RUPTION. Mais non, je vois le mal partout.
Et par ailleurs, j'aimerais savoir comment et de quel droit les pharmaciens renseignent les VM sur les prescriptions de tel ou tel médecin. Est-ce légal?

Le reportage passe ensuite à une soirée de FMC (Formation Médicale Continue) lors de laquelle le labo s'est payé un "expert" leader d'opinion de métropole pour parler des "nouvelles recommandations sur le diabète de type 2" (Ah oui, celles qui ont été retirées à la demande du FORMINDEP?). Le billet d'avion, l'hôtel sont payés par le labo, en plus de la rémunération pour la conférence.
Le labo refuse que les journalistes assistent à la soirée (déjà c'est louche). Elle est donc enregistrée par la fenêtre. Le labo demande aux médecins auditeurs de laisser leur téléphone à l'entrée pour ne pas enregistrer ce qui se dit. Bienvenue à la CIA. Perso je n'ai jamais vu faire ça. En même temps ça fait longtemps que je ne suis pas allée à une soirée de labo...
Après vérification du journaliste, le Professeur conférencier n'est en fait pas Professeur, mais juste docteur. C'est classe. Ou comment utiliser l'argument d'autorité.
Ça commence donc par un cocktail au bord de la piscine, ambiance Médecins Nantis.
Début de la conférence: Le "Professeur" commence par remercier le labo X qui l'a si bien reçu. Ça promet de l'indépendance. Monsieur le Professeur ne déclare pas ses liens d'intérêt (obligation légale je le rappelle; cela prendrait trop de temps sans doute...)
Pour faire court, le topo est à la gloire du nouvel ADO du labo X.
"Ce médicament s'accompagne d'une baisse très rapide et très conséquente de l'HB glyquée". En appuyant bien sur le "très". C'est bien. Et en terme de morbi-mortalité? Car souvenez-vous ce que disait cet abruti de MG tout à l'heure: ce qui nous intéresse, c'est le patient. On ne soigne pas une Hb glyquée!
Des effets indésirables? Les risque cardiaques, hépatiques, cutanés, ne sont même pas cités. Ah si, le "Professeur" dit que ça peut donner la diarrhée. C'est sûr, tout de suite ça fait moins peur. Et il suffit de le prendre à la fin du repas pour l'éviter. Ouf, on est rassurés.
Là intervient la VM: "Le dîner est servi, c'est une belle conclusion." On sait donc pourquoi les auditeurs sont venus. Ça me rappelle furieusement ça)
On ne parle pas du prix 6 fois plus élevé (c'est vrai la santé ça n'a pas de prix...)

Conclusion du journaliste: "Le rapport de la HAS ne semble pas avoir gêné le laboratoire le moins du monde pour lancer son médicament." Bon, tout est dit.

3e séquence.

Nous nous sommes donc quittés après une édifiante soirée de FMC au bord de la piscine.
Nous nous retrouvons dans un tout autre décor: dans les bureaux de la Revue Prescrire, pour une interview de son directeur le Dr Bruno Toussaint.

Extraits:
"Le marché diabétique est très intéressant pour les firmes: c'est une maladie fréquente, incurable, qui pose des problèmes de santé très lentement, donc beaucoup de personnes sont amenées à prendre ce médicament pendant des dizaines d'années." Concept du "patient captif".
"Ce médicament (la gliptine NDLR), on sait que ça fait baisser un peu l'Hb glyquée (un peu, hein, pas très beaucoup et très vite...), mais on ne sait pas ce que ça fait en vrai en terme de complications du diabète: infarctus, insuffisance rénale, vue." C'est ça la morbi-mortalité.
"Pour nous c'est un médicament qui n'est pas recommandé parce qu'on ne sait pas ce que ça va faire sur les complications, mais par contre on voit déjà une partie de ses effets indésirables, très ennuyeux."

Le journaliste: "On a l'impression que ce médicament est lancé sur le marché sans qu'on maîtrise les effets indésirables, et qu'on va le tester grandeur nature?"
Fun non? Qui veut essayer?
BT: "Quand on teste un médicament sur quelques milliers de personnes et qu'on voit des effets indésirables sur 2-3 personnes, c'est la pointe d'un iceberg. Quand on le diffuse à 100 000 personnes, ça fait beaucoup plus de victimes."
CQFD.

"Ce cas est-il un cas isolé? Les labos pourraient-ils mettre notre vie en danger pour mettre sur le médicaments qu'ils estiment rentables?" Oh nooon... (hum euh attendez... Distilbène, coxibs, glitazones, anticholinestérasiques... Vous en voulez d'autres? Non je m'arrête là.)

La suite au prochain épisode. Pour voir la vidéo de l'émission, c'est .

© Dr Kalee ("ultra anti-labo" selon l'expression désormais consacrée...)
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2 commentaires:

  1. Mais... l'arnaque.... Elle est où la photo de Marie Drucker ??? Parce que oui, l'émission était sympathique mais on savait déjà... par contre Marie...

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  2. Je n'avais pas pu voir l'émission (et j'ai la flemme de regarder en replay oui j'avoue) donc merci pour cette analyse !

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