Il y a quelque chose de pourri au
royaume de la Gynéco-Obstétrique. Ça fait longtemps que j'ai envie d'aborder
ce sujet, et que je repousse, car je ne sais pas par quel bout le
prendre, et j'ai peur aussi de mal me faire comprendre.
Alors pardonnez-moi d'avance si ce
billet est un peu fouillis, c'est écrit avec le coeur plus qu'avec la
raison.
Je suis médecin, et tout comme dans ma
pratique j'essaie de ne pas médicaliser ce qui n'a pas besoin de
l'être, de ne pas prescrire des médicaments là où il n'y en a pas
besoin, j'aimerais que l'on fasse de même en ce qui concerne la
grossesse et l'accouchement.
D'après ces honorables gynécologues, la looongue espérance de vie des femmes françaises est liée à leur admirable travail de suivi des femmes. Mouais. Si prescrire des pilules de 3e génération et faire des frottis tous les ans à partir de 18 ans améliore la vie des femmes, peut-être.
Oui, je sais, je suis caricaturale. Mais pas tant. Et puis, à vrai dire, l'autre côté l'est aussi, beaucoup.
Personnellement en tant que patiente, c'est l'expérience que j'ai de la gynécologie médicale. Une gynéco qui, à 20 ans, m'a prescrit une pilule 3e gé, sans me poser la moindre question sur mes antécédents personnels ou familiaux, et qui voulait toujours me faire le frottis tous les ans, dès 20 ans (parce que je ne l'ai pas consultée plus tôt...). Tous les ans je négociais, non mais on peut peut-être attendre l'an prochain quand même...
Et en tant que médecin généraliste qui reçoit des femmes suivies par des gynécologues médicaux, le tableau n'est pas fondamentalement différent.
Bon, pour ce qui concerne l'amélioration de l'état de santé des femmes grâce au consciencieux suivi des gynécologues médicaux, je ne suis pas convaincue. Attention, je ne suis pas en train de dire que le suivi gynécologique ne sert à rien... Je suis la première à vérifier que les femmes ont fait un frottis il y a moins de 15 ans... Mais faire un TV et un frottis à une jeune fille de 18 ans qui vient demander la pilule, puis lui prescrire une pilule 3e G, sans interrogatoire, et sans information sur les autres moyens de contraception existants, j'adhère moyen.
C'est peut-être alors sur le suivi de grossesse, et l'accouchement que se joue la survie des femmes françaises? Ah oui mais mince, il se trouve que nos indicateurs de mortalité maternelle périnatale sont loin d'être les meilleurs d'Europe... Alors quoi? Je ne sais pas.
Par contre, le besoin d'une certaine frange du corps médical de prendre le pouvoir sur la vie, le corps et les choix des femmes, ça je vois bien.
Actuellement à l'Assemblée Nationale, est présentée une proposition de loi visant à "expérimenter" les maisons de naissance. Pas "autoriser", non, grands dieux, "expérimenter" seulement. Ne poussons pas le bouchon.
Cette proposition de loi, ce projet d'ouvrir des maisons de naissance, défrise un certain nombre de gynécos, notamment celle dont je ne citerai pas le nom. (C'est comme Voldemort, Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom...) Mais pourquoi tant de haine? Après tout ça existe déjà dans de nombreux pays, européens ou non. La Suisse, la Belgique, les Pays-Bas pour ne citer qu'eux. Qui ne sont pas spécialement connus pour leur fort taux de mortalité périnatale...
Alors où est le problème?
Les adversaires des MDN (pour maisons de naissance, ça fait plus court hein...) aiment beaucoup caricaturer les raisons pour lesquelles les femmes souhaitent un retour à un accouchement plus physiologique, moins médicalisé. Ce sont des bobos, la mode est au bio/naturel/équitable, le 21e siècle est spirituel et c'est le grand retour de l'"enfantement dans la douleur"....
Quand j'entends ça, j'ai juste envie de dire.... Pour des gynécos, SPECIALISTES DES FEMMES, vous n'avez juste rien compris.
Prenons mon cas personnel (je ne suis représentative que de moi-même, bien entendu, mais au moins je parle de ce que je connais).
J'ai accouché 2 fois, en maternité, niveau 1 puis niveau 2. Deux grossesses physiologiques. Une première grossesse suivie par la même gynéco médicale évoquée ci-dessus, avec 1 TV par mois (mes amies SF vous le diront, en dehors de signes d'appel ça ne sert à rien), une écho surprise au 4e mois, au cours de laquelle j'ai à l'insu de mon plein gré appris le sexe du bébé en l'absence de son père... Par contre, pas une fois elle ne s'est préoccupée de savoir comment j'allais, comment ça se passait au boulot... Et je ne vous raconte même pas pour quoi je suis passée quand j'ai refusé le dépistage de la trisomie 21.
Fin de suivi dans cette mater de niveau 1, où les SF n'étaient même pas autorisées à faire les consults de suivi... Leur rôle était de réceptionner les biologies, faire la BU, et prendre la TA. Ouah, que c'est valorisant...
Accouchement totalement foireux, avec travail seule (mon mari n'a pu me rejoindre que plus tard), aucun soutien hormis la visite horaire pour le TV. Pose de péri salvatrice, oui, vu comme je me sentais seule avec ma douleur. MAIS, péri trop forte, poussée inefficace, maman épuisée, forceps, épisio. Grosse, hein, l'épisio, sinon c'est pas drôle.
Par la suite, accompagnement à l'allaitement tout aussi foireux (je montre à la SF mes seins qui saignent: "ouh là, ces crevasses..." Me tend un sachet de Lansinoh. Point.) Je vous dis, si j'ai allaité mon fils 6 mois au total, c'est que je suis têtue. Mais VRAIMENT têtue.
J'ai appris récemment en formation qu'une femme peut faire un syndrome de stress post-traumatique suite à un accouchement considéré comme normal par l'équipe médicale, simplement parce que son vécu des évènements est trop éloigné de ce qu'elle imaginait au départ. Quand je repense à cette période, je pense que c'est ce que j'ai fait, a minima. Je garde un très mauvais souvenir de cet accouchement, en dehors bien sûr du fait d'avoir fait connaissance avec mon petit garçon.
Pour le 2e, un peu échaudée du suivi par un gynéco, j'ai cette fois décidé de me faire suivre par une SF libérale. Effectivement suivi beaucoup plus attentif, respectueux de mes attentes, et PAS de TV à chaque fois (juste un à la dernière consult avant la mater, "histoire que les collègues ne disent pas que je vous ai jamais examinée...")
Et puis accouchement de nouveau en maternité, une autre, et de nouveau, la solitude (de nouveau mari pas là... J'ai de la chance me direz-vous.) De nouveau, les seules visites étaient pour le TV horaire. Cette fois, les choses sont allées plus vite, pas le temps de poser la péri, le bébé est arrivé très rapidement. Pas besoin de forceps. J'ai découvert que oui, les contractions c'est douloureux, mais putain qu'est-ce que c'est plus efficace quand on SENT comment et quand on doit pousser... Et bien que cette fois-là je n'avais pas choisi d'accoucher sans péri, je suis très heureuse de l'avoir fait, de savoir que oui, j'en suis capable.
Alors les adversaires des MDN disent qu'on veut revenir en arrière, priver les femmes de la sacro-sainte péridurale, les obliger à souffrir.
Mais enfin quoi? A-t-on jamais dit à quiconque qu'on voulait que TOUTES les femmes accouchent en MDN? Est-ce que ouvrir une possibilité différente à celles qui le souhaitent veut dire priver les autres?
Les adversaires râlent qu'on veuille déposséder les mater de leurs SF, déjà trop peu nombreuses, pour garnir des MDN. Ben non, hein, on n'a jamais dit ça. Ce qui serait bien c'est qu'il y ait assez de SF dans les mater, ET des MDN pour celles qui le souhaitent. S'il n'y a pas assez de SF dans les mater, ce n'est pas la faute des MDN (vu qu'elles n'existent pas encore), c'est parce qu'on fait des économies sur le dos du personnel. Il y a des SF au chômage, et c'est un scandale!
Les adversaires disent, mais il n'y a qu'à ouvrir des espaces physiologiques dans les mater, ça ira très bien, c'est pareil. Certains disent même, il y a DÉJÀ des espaces physio dans toutes les mater, alors de quoi a-t-on besoin en plus? Heu, je sais pas, mais dans la mater où j'ai accouché, construite en 2009, pas l'ombre d'un espace physio.
Alors oui, les espaces physio, c'est bien, mais ça n'a rien à voir avec une MDN, et surtout ça n'a rien à voir avec l'ACCOMPAGNEMENT GLOBAL A LA NAISSANCE. Car c'est ça le nerf de la guerre.
Et en ce qui concerne les arguments de "spiritualité", certaines peut-être le voient comme ça, personnellement, la spiritualité, je m'en cogne. Je suis la plus athée de toutes les athées, et il n'y a pas la moindre spiritualité dans mon désir d'accoucher différemment.
Quand on y réfléchit bien, la naissance d'un enfant, c'est quand même un des jours les plus importants de la vie d'un couple. C'est peut-être pas toujours le plus BEAU, mais au moins c'est un jour important. Est-il normal qu'à l'occasion de cet évènement unique dans la vie de votre famille, vous soyez pris en charge par des gens que vous n'avez jamais vu, et que vous ne reverrez jamais?
Personnellement je n'ai aucun souvenir de la tête et du nom des SF qui étaient là lors de mes accouchements. Forcément, un TV par heure, ça n'aide pas trop à tisser des liens.
Est-ce qu'il ne serait pas bien, voire souhaitable, que lorsque vous accouchez, vous soyez soutenues par un(e) professionnel(le) que vous connaissez bien car il/elle vous suit depuis le début de votre grossesse (voire même avant, soyons fous, si vous avez fait le suivi gynéco avec lui/elle). Quelqu'un en qui vous avez confiance, qui VOUS connaît, et saura de quoi vous avez besoin pour avancer.
Et surtout, qui soit LA, près de vous, pas 2 min une fois par heure.
Moi, en tout cas, ça me plairait. Beaucoup plus qu'une péridurale qui m'endort complètement le bas du corps, qui me fatigue pendant plusieurs jours après, et qui me fait faire le plus beau malaise vagal de toute ma vie...
Mais apparemment certains gynéco ne peuvent pas intégrer que certaines femmes CHOISISSENT de ne pas utiliser une péridurale. C'est la panacée. Tout le monde devrait vouloir accoucher sur le dos les pattes en l'air, avec un monito scratché autour du bide, une perf dans le bras, et surtout sans rien sentir.
Mais la péridurale, elle est bien gentille, mais elle me tient pas la main pour m'encourager, elle me dit pas des mots gentils pour me coacher et m'aider à gérer mes contractions.
Le sentiment clé que je retiens de mes 2 accouchements, c'est la SOLITUDE.
Alors j'ai décidé, que quand il y aura un projet de 3e, je ferais ce qu'il faut pour que cela ne se reproduise pas. Évidemment je ne peux pas compter sur le fait que le papa sera là. Ce serait trop facile.
Donc pour moi, la prochaine fois, ce sera accompagnement global. Vers chez moi, ça veut dire, soit accouchement à domicile, soit en plateau technique avec SF libérale. J'ai pas encore décidé, on verra, aussi selon les possibilités.
Je ne vais pas attendre que les MDN existent, j'ai peur que d'ici là je sois ménopausée.
Je ne veux pas être mal comprise: je ne veux absolument pas dire ici que le personnel des maternités ne fait pas un bon travail. Il fait ce qu'il peut, de son mieux, avec ce qu'il a. Personnellement, le jour où j'y étais, je n'y ai pas trouvé mon compte. Peut-être un autre jour avec d'autres gens, les choses se seraient-elles passées différemment. Pleins de femmes sont ravies de leur accouchement en maternité.
Je ne veux pas opposer les différentes possibilités, je pense qu'elles sont COMPLÉMENTAIRES. Les êtres humains sont tous différents, et ont des souhaits différents pour leurs choix de vie. Pourquoi faudrait-il à toute force calquer le même modèle à toutes les femmes enceintes?
Ne peut-on pas imaginer (allez, soyons fous!) que les femmes, les couples, sont en général assez intelligents pour s'informer sur les différents choix existants, et pour prendre leur décision en connaissance de cause?
Dans mon monde idéal, celui des Bisounours, ça se passerait comme ça: pour leur suivi gynéco et leur contraception, les femmes consulteraient soit une sage-femme, soit un généraliste. Ceux-ci, en cas de difficulté ou de pathologie, les adresseraient à un gynécologue pour un avis ou une prise en charge. De même, pendant la grossesse, si tant est que la femme soit en bonne santé et que la grossesse ne présente pas de risque ou de pathologie particulière, elle pourrait se faire suivre soit par une sage-femme, soit par un généraliste (qui soit un peu au courant, hein, parce que ne nous voilons pas la face, tous les généralistes ne sont pas compétents en gynéco-obstétrique. J'ajouterais, un généraliste qui AIME ça). On prendrait le temps de les écouter, on ne leur sauterait pas dessus avec un doigtier. Ça coûterait beaucoup moins cher à la sécu, je suis sûre que les femmes en seraient satisfaites, et surtout, les gynécos, qui seraient débarrassés du suivi de tous les cas non pathologiques, seraient beaucoup plus disponibles pour recevoir et prendre en charge celles qui en ont VRAIMENT besoin. Les délais de rendez-vous seraient raisonnables.
Pour l'accouchement, les femmes qui ont besoin d'une surveillance médicale particulière seraient orientées en maternité de niveau 2 ou 3, selon les cas. Pour les autres, elles auraient le choix: maternité classique, espace physiologique, maison de naissance, accouchement à domicile.
Tout en ayant toujours un dossier de prêt à la maternité la plus proche, au cas où il y aurait besoin de la transférer.
Chacune pourrait choisir en toute liberté le type d'accompagnement qu'elle désire, selon son vécu, son ressenti, selon qu'elle veuille ou non une péri. Personne ne jugerait le choix qu'elle aurait fait, même si au final il ne peut se réaliser pour cause de problème médical (du genre "vous pensiez accoucher à domicile? Pauvre inconsciente!" Pas du vécu mais pas loin...)
Voilà ce que j'aimerais pour moi et pour les femmes de mon pays. J'ai l'impression que c'est trop demander. Pourquoi, je ne comprends pas.
Pour conclure, j'aimerai faire une petite mise en perspective. Ces questions que je pose aujourd'hui, on est bien d'accord, ce sont des questions de riches. Dans notre pays, depuis 50 ans, nous avons réussi à assurer (quasiment à toutes) la sécurité physique de la mère et de l'enfant lors de l'accouchement. Évidemment il y a encore des drames, on peut toujours faire mieux. Mais grosso modo, les françaises risquent peu de mourir en couches, comparées à leurs consoeurs d'autres continents. Et c'est bien. Maintenant que ça, c'est fait, il faut nous occuper de la sécurité émotionnelle de la mère et de l'enfant à la naissance. C'est le nouveau challenge du 21e siècle. L'accompagnement humain de la périnatalité. Et là, il y a du boulot. Mais ça vaut le coup. Je veux dire, ça vaut VRAIMENT le coup. (copyright
Alors Voilà)
Quelques liens sur le sujet:
le blog de
10 lunes, mon idole en ce qui concerne la périnatalité.
Sage-femme mon amour par Souristine, ma twittamie, médecin comme moi, avec qui je suis totalement en phase à ce sujet.
le blog de Knackie (elle adore jouer la méchante, mais en vrai on la croit pas...)
Un très bon billet sur la péridurale, chez la Poule Pondeuse, qui tient par ailleurs un super blog. Il y a plein de très bonnes références dans cet article.
Des lieux d'accouchements alternatifs:
Une maternité respectueuse mais en difficulté, le Belvédère.
Le groupe Naissance (région parisienne)
Comme à la Maison (à Paris aussi)
Et pour un très belle illustration de l'emprise du "corps" médical sur le "corps" des femmes, je ne saurais trop vous conseiller de lire le merveilleux livre de Martin Winckler: "Le Choeur des Femmes"