Retrouvons donc la suite des
aventures de nos journalistes infiltrés au pays des laboratoires
pharmaceutiques.
Le fameux labo X prépare la
sortie d'un autre médicament, contre une maladie neurologique cette
fois. (Alzheimer? Parkinson? SEP? Cette fois je n'ai pas retrouvé
de quel médicament on parlait.)
En tout cas, le médicament,
qui vise encore une fois les malades "captifs", devra donc
être pris tous les jours pendant toute la vie, et coûte la
bagatelle de 2000 euros par mois de traitement. L'ASMR a été cotée
à 4 par la HAS.
Lors des études
pré-commercialisation, 90% des patients ont présenté au moins un
effet indésirable. QUATRE VINGT DIX POUR CENT!!! Dont 2
décès.
Le remboursement a été refusé
en Grande-Bretagne, mais autorisé en France. (Labo français?
Patriotisme économique?)
Bref, le labo présente donc sa
molécule dans un congrès de neurologie. En fait de congrès, il
s'agit d'un symposium organisé par le laboratoire. Annonçons la
couleur: un symposium, c'est de la publicité, pas de l'EBM (pour
Evidence-Based Medicine ou Médecine Basée sur les Preuves).
Le labo paye donc à déjeuner
à 400 neurologues.
Quelques semaines plus tard, on
en est déjà à 7 décès suspects. On parlait de risque de malaises
et de bradycardies, on récolte des morts subites.
Conclusion du journaliste:
"Pourquoi les autorités sanitaires ont-elles mis sur le marché
un médicament qui semble dangereux? En tout cas il est très
rentable et il semblerait que les intérêts financiers passent
parfois avant celui du patient" Sans blague...
Changement de décor:
Le journaliste interviewe des
VM sous prétexte de préparer un livre sur leur profession. Bien
entendu tous souhaitent garder l'anonymat... Pas folle la guêpe!
Extraits de conversation:
VM: "On est amenés à
avancer des qualités sur un médicament qui ne sont pas vérifiables
scientifiquement. Décrire des choses qui ne sont pas forcément la
réalité."
J: "Mentir?"
VM: "Mentir, non,
arranger, oui. Ne pas dire les effets secondaires. Parler des
avantages de puissance, d'efficacité. On parle pratiquement jamais
d'effet indésirable."
J: "Pourquoi on lance un
produit d'ASMR 3 ou 4?"
VM: "Le marché étant ce
qu'il est, grand, exemple, le diabète de type 2, s'il n'y a que 2
labos sur le marché, qu'on arrive en 3e, même si on n'a pas
d'innovation on se partage quand même une bonne part du gâteau."
Bizness is bizness.
J: "Et comment tu fais
pour placer les produits s'il y en a d'autres qui proposent quasi la
même chose?"
VM: "Tu joues sur le
relationnel."
Ce
qui veut dire: tu invites les médecins à bouffer à midi. Tu
organises des staffs à l'hôpital où tu payes à bouffer à tous les
médecins du service (du chef à l'externe). Votre médecin pense
donc avec son estomac. Sachez-le.
J: "Pour vous ça a des
retombées?"
VM: "Ah oui on voit tout
de suite les chiffres exploser."
So
much pour ceux qui pensent que EUX ne sont pas influençables, qui
pensent qu'une petite bouffe, c'est rien, ça n'engage à rien. CQFD
(j'utilise beaucoup ce sigle en ce moment...)
On évoque ensuite un peu la
rémunération des VM. D'après celui-ci, "un VM gagne entre 50
000 et 60 000 euros de salaire fixe, plus 5 000 à 20 000 euros de
prime", selon le nombre de prescriptions obtenues bien sûr.
Donc plus qu'une bonne partie des médecins généralistes. C'est qui
les nantis déjà?
Puis on parle des marges que
les labos appliquent à leurs médicaments. D'après ce VM, les labos
vendent le médicament 10, 20 à 30 fois son coût de fabrication.
Qu'on achète avec les sous de la Sécu. Normal.
VM: "C'est comme si on
vendait de la lessive alors que quand même ça reste un médicament.
C'est comme si on vendait n'importe quoi, que ça n'avait pas
d'implication ou de conséquences particulière." Oui, c'est
pas comme si ça influait sur la vie des gens.
Pour terminer, le reportage
s'intéresse à la loi Bertrand votée en décembre 2011 pour
réformer la visite médicale et notamment interdire la VM
individuelle à l'hôpital (les médecins de ville tous seuls dans
leur cabinet, on s'en fout).
X. Bertrand à l'assemblée:
"La visite médicale doit profondément évoluer." Perso
si elle pouvait évoluer dans le même sens que les dinosaures ça
m'irait très bien.
On entend juste après le
discours d'un PDG de labo à ses ouailles, au sujet de cette loi,
encore en discussion à l'époque.
"Cette réforme du
médicament est d'une inutilité majeure." On est au moins
d'accord sur un point.
"En terme de filiale, il
est beaucoup plus intéressant pour nous aujourd'hui de supprimer la
recherche, que de supprimer la visite médicale". Ce qui est
ballot, parce qu'à ma connaissance ton job de base c'est quand même
de TROUVER des nouveaux médicaments, avant d'essayer de les vendre!
Donc, pour modifier la loi à
son avantage, il va falloir faire "un peu de pédagogie auprès
des députés", doux euphémisme pour dire du lobbying de
gros bourrin. Qui a quand même réussi à faire vider la loi de son
contenu avant qu'elle soit votée.
Conclusion du journaliste: "Qui
s'est vraiment soucié de l'intérêt des patients"
C'est
marrant je me pose la même question.
Fin du reportage.
Le débat:
Je vous présente les forces en
présence:
Dr Irène Frachon, pneumologue
au CHU de Brest. "Whistleblower" de l'affaire Médiator.
Dr Francois Wilthien, médecin
généraliste vice-président de MG France (LE syndicat des MG
dixit Marie Drucker, ce que le bon Dr n'a pas corrigé.) Abonné
à la Revue Prescrire, ne reçoit pas les VM.
Hervé Gisserot, vice-président
de GSK (laboratoire) et président du LEEM (Les Entreprises Du
Médicaments. Si quelqu'un peut m'explique à quoi correspond le
2e E, je suis preneuse. Bref, le lobby du médicament). J'ai une
pensée pour lui qui a dû passer une salle soirée...
Dr Catherine Lemorton,
pharmacienne députée PS de Haute Garonne, présidente de la
commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale. Auteure
du rapport parlementaire "Prescrire moins, consommer mieux".
Dr Arnaud Robinet, docteur en
pharmacologie, député UMP, rapporteur de la loi Bertrand.
Et enfin, last but not least:
Pr
Philippe Even, faut-il
encore le présenter? Allez pour ceux qui reviennent de longues
vacances sur la Lune:
professeur émérite
à l'Université Paris Descartes, président de l'Institut Necker,
auteur de "4000 médicament utiles, inutiles ou dangereux"
et de "La vérité sur le cholestérol". Avec
une jolie photo du livre (tiens en passant c'est marrant ils ont pas
montré le livre d'Irène Frachon. Peut-être parce qu'il sort pas le
lendemain de l'émission.)
Extraits
choisis:
IF:
"Le discours est clair de la part des labos: l'industrie
pharmaceutique est une industrie qui a des objectifs de rentabilité
à court terme. Par contre, il y a un flou total et un enfumage de la
part des médecins qui n'ont manifestement pas cette vision de la
puissance l'influence, de biais, de stratégie très organisée pour
favoriser des médicaments nouveaus et plus chers." Cf la
diabétologue naïve.
FW:
"Ce soir je n'ai pas appris grand chose." C'est marrant
moi non plus.
"Il
ne s'agit pas d'information mais de promotion commerciale, de
marketing." En parlant de la visite médicale.
MD
à HG: "Est-il normal que l'on vende des médicaments de cette
façon? Est-ce que vous cautionnez ces pratiques qui doivent
forcément avoir cours aussi dans votre labo?" Oh nooon, GSK
est un ange de labo.
Séance
d'enfumage de HG: "La raison d'être des industriels du
médicament, c'est de lutter contre la maladie, d'améliorer la
qualité de vie des patients." Au début, oui, peut-être, il
y a longtemps...
"grâce
aux industriels on a pu éradiquer un grand nombre de maladies, on
peut soigner des maladies qui étaient mortelles." Oui, bon
merci, la pénicilline ça commence à dater un peu quand même...
Pour mémoire, les dernière Pilule d'Or Prescrire remontent à 2006
et 2007, et encore ce sont des médicaments qui concernent un très
petit nombre de patients. Avant il faut remonter à 1998 pour un
anti-rétroviral utilisé dans le traitement du VIH. Donc oui, de
temps en temps, au milieu d'un gros tas de médicament plus ou moins
inutiles il y en a quelques-uns qui servent à quelque chose. Encore
heureux. Mais ça ne répond pas du tout à la question posée,
Hervé!
HG:
"Ce reportage a un côté salle de garde. C'est comme si vous
alliez dans la salle de repos des médecins quand ils se détendent
et que vous écoutiez ce qu'ils disent et que vous pensiez que c'est
ce qu'ils pensent des malades quand ils sont à leur chevet."
Ah
OK, donc en fait tous ceux qui ont parlé dans le film, leurs mots
ont dépassé leur pensée. Ils avaient pas l'air bourrés, ni en
pleine "détente" pourtant. Ils avaient l'air assez
sérieux.
Il
revient ensuite sur la liste des 77 médicaments et la distinction
avec "liste de médicaments dangereux". Ce qui n'est pas
entièrement faux, cf mon post précédent.
"Nous
n'invitons pas les médecins à des séjours de 8 jours avec des
soirées et des dîners de gala. Nous accompagnons des médecins dans
leur formation." De la nuance! CQFD (oui, encore une fois).
"Les
laboratoires ont toute leur place dans le dépistage." Ben
oui, hein, trouver des nouveaux malades ça les arrange plutôt bien.
CL:
dénonce l'infiltration de l'industrie pharmaceutique à tous les
niveaux de notre système de santé. Dit s'être fait traiter
d'"hystérique des labos". Bienvenue chez les
hystériques, Cathy!
"Un
médecin qui n'a aujourd'hui comme source de formation ou
d'information que la visite médicale, ce n'est pas normal." Un
petit enfonçage de porte ouverte, ça ne fait pas de mal.
AR:
"Tous les médicaments sont potentiellement dangereux, tous ont
des effets indésirables." Porte ouverte, toussa...
"Les
études de phase I, II et III sont faites sur des populations
restreintes, donc on n'a pas suffisamment d'infos pour appréhender
tous les effets indésirables."
MD:
"Mais l'absence d'avancée thérapeutique, on le sait?"
AR:
"Il y a eu des conflits d'intérêt à un moment donné." A
quel moment, exactement?
"Il
faudrait réévaluer la balance bénéfice-risque de chaque médicament
tous les 5 ans" Ça paraît être une bonne idée.
"Nous
serons vigilants à ce que l'Agence du Médicament remplisse
totalement ses fonctions dans la transparence." Attention mon
radar à langue de bois vient de sonner.
"Les
pouvoirs publics sont là pour répondre aux besoins des patients."
Dont acte. Let's wait and see, parce que jusqu'à présent...
FW:
"C'est toujours largement insuffisant. C'est un sujet récurrent
depuis 35 ans. Le prochain scandale sera celui des NACO, les nouveaux
anti-coagulants oraux, ASMR 5 également."
Peut-être,
moi j'aurais plutôt voté pour les anti-Alzheimer.
PE:
Commence par passer un peu de pommade à Marie Drucker, ça fait
pas de mal. Un peu de galanterie que diable.
"Tous
les médicaments ont des risques, il faut en discuter avec votre
médecin." Jusque là on est d'accord. Petite parenthèse
sur les NACO et sur le fait qu'on n'a aucun antidote en cas de
surdosage.
"Sans
les laboratoires pharmaceutiques, il n'y aurait pas eu tous les
grands médicaments qui datent déjà de beaucoup d'années et il n'y
aurait aucune chance qu'il y ait un jour de nouveaux médicaments
intéressants. Mais l'industrie pharmaceutique a pris de mauvaises
habitudes avec le capitalisme spéculatif et financier de viser la
rentabilité immédiate et à tout prix."
Bon
alors je sais qu'il y a beaucoup de monde qui n'aime pas le Pr Even.
Perso je n'ai lu aucun de ses bouquins, et je n'ai pas d'a priori sur
lui. Mais ce qu'il vient de dire me paraît sensé et mesuré.
HG:
"Nous sommes des entreprises. Personne ne parle dans une
entreprise de philanthropie."
MD:
"Oui mais là on parle de santé publique!"
CL:
"Vous avez une aide publique permanente qui s'appelle le
remboursement de vos médicaments. Votre industrie est complètement
différente de toutes les autres industries en France, parce qu'elle
est solvabilisée en permanence par la Sécurité Sociale. Cela vous
impose des devoirs."
HG:
"Le visiteur médical a aussi un rôle de remontée des effets
indésirables." Mouahaha! Et la marmotte...
AR:
"Mais ce n'est pas le rôle du VM que de faire de la
pharmacovigilance. C'est se tirer une balle dans le pied."
Chacun son rôle et les vaches seront bien gardées merci!
HG:
"Sortons de la caricature. Vous présentez 4 ou 5 VM, il y a 15
ou 16 000 personnes qui font ce métier tous les jours, et qui ne se
reconnaissent pas dans cette caricature."
PE:
"Ce qui a été dit de l'industrie pharmaceutique n'était pas
une caricature, c'était la réalité."
HG:
"Donc ce qui a été montré est caricatural et ne reflète pas
le secteur. C'est une image caricaturale."
En
même temps les journalistes n'ont pas inventé ce qu'ils ont
filmé...
HG:
"Arrêtons de lancer des alertes en se substituant aux autorités
sanitaires." Suivez mon regard Irène Frachon... Oui, encore
faudrait-il que les autorités sanitaires fassent leur boulot
correctement, là on pourra arrêter. Combien d'années a-t-on
prescrit et vendu du Médiator avant son retrait grâce à Irène
Frachon. Cette attaque d'HG n'a pas été relevée pendant le débat,
et IF n'y a pas répondu, je trouve que c'est dommage.
Le
débat s'est terminé sur une conclusion de Marie Drucker suggérant
qu'il faudrait peut-être voir à "changer de culture", ce
qui me paraît effectivement être une bonne idée. Malheureusement
je pense que les générations actuelles de médecins sont plus ou
moins fichues. C'est sur les jeunes qu'il faut miser. Quand on voit
que dès l'externat on se fait kidnapper par les visiteurs médicaux
dans es services, à un point de notre cursus où on a d'une part pas
l'esprit critique et les connaissances pour remettre en cause le
discours, et d'autre part toujours besoin d'un stylo, d'un bloc-notes
ou d'une règle à ecg, ben c'est pas gagné. Dès le début, on nous
fait comprendre que c'est NORMAL de se faire offrir des trucs par les
labos.
Mais
bon, il y a peut-être de l'espoir: par exemple ici
Voilà,
j'ai terminé ma blogorrhée (©
DocAdrénaline).
Si
vous voulez en savoir plus, voilà une foultitude de liens
intéressants:
Les copains qui disent la même chose:
Sur les formations sponsorisées (Jaddo)
Sur la visite médicale pendant l'internat (encore Jaddo)
Votre médecin, avec ou sans pub? (Farfadoc)
Le point de vue de Dr Gécé, assez proche du mien.
Ce que docteurmilie écrit sur son ordonnance
Le sevrage de Mathieu Calafiore
Le triptyque de B. 1. 2. 3.
Les gens sérieux:
Prescrire. Oui les cadeaux ont de l'influence
http://www.formindep.org/
Sur les liens d'intérêts entre les experts de l'ANSM et l'industrie pharmaceutique (Atoute.org)
Une pétition pour interdire la visite médicale, lancée par B. Le bruit des sabots:
http://www.petitions24.net/signatures/chut_pas_de_marques
Si cette émission vous a ouvert les yeux, si ces articles vous ont semblé sensés, allez la signer!!!
Il s'agit de votre santé, de celle de vos parents, de celle de vos enfants. A bon entendeur!
Les copains qui disent la même chose:
Sur les formations sponsorisées (Jaddo)
Sur la visite médicale pendant l'internat (encore Jaddo)
Votre médecin, avec ou sans pub? (Farfadoc)
Le point de vue de Dr Gécé, assez proche du mien.
Ce que docteurmilie écrit sur son ordonnance
Le sevrage de Mathieu Calafiore
Le triptyque de B. 1. 2. 3.
Les gens sérieux:
Prescrire. Oui les cadeaux ont de l'influence
http://www.formindep.org/
Sur les liens d'intérêts entre les experts de l'ANSM et l'industrie pharmaceutique (Atoute.org)
Une pétition pour interdire la visite médicale, lancée par B. Le bruit des sabots:
http://www.petitions24.net/signatures/chut_pas_de_marques
Si cette émission vous a ouvert les yeux, si ces articles vous ont semblé sensés, allez la signer!!!
Il s'agit de votre santé, de celle de vos parents, de celle de vos enfants. A bon entendeur!
©
Dr Kalee ("ultra anti-labo" selon l'expression désormais consacrée...)
Comment peut-on savoir si notre médecin est indépendant?
RépondreSupprimerVous pouvez déjà lui demander simplement s'il reçoit les visiteurs médicaux, ou ce qu'il pense de la revue Prescrire. Regarder les ordonnances qu'il vous délivre et comparer avec les listes de médicaments déconseillés par Prescrire ou surveillés par l'ANSM. Regarder dans son cabinet si vous voyez beaucoup d'objets sponsorisés (bloc-notes, stylos, matériel...)
SupprimerCela dit, qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit: tout médecin qui reçoit la visite médicale n'est pas forcément un "mauvais" médecin. Cependant on peut craindre qu'il soit parfois influencé dans ses prescriptions.
"Cette fois je n'ai pas retrouvé de quel médicament on parlait." >>> Fingolimod (Gylenia®), toujours de Novartis.
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