Vous avez peut-être vu, vendredi 22
février dernier sur France 2, l'émission "Les Infiltrés",
présentée par Marie Drucker, intitulée "Laboratoires
pharmaceutiques, un lobby en pleine santé". En tout cas moi je
l'ai regardée, et une grande partie de mes touittamis aussi, si j'en
crois le nombre de tweets qui ont volé dans tous les sens au cours
de l'émission.
Personnellement je n'y ai pas appris
grand chose de nouveau. Mais cette émission a le grand mérite
d'avoir exposé ces pratiques au grand jour, et en cela elle est
salutaire.
C'est pourquoi l'idée m'est venu d'en
faire un commentaire composé, à l'usage de ceux qui ne l'auraient
pas vue, et même de ceux qui l'ont vue.
Pour plus de clarté, le résumé de
l'émission et les propos qui en sont tirés sont en caractères
normaux (j'ai pris des notes rapidement, il est possible que les
formulations soient légèrement modifiées), mes commentaires sont
en italique. L'émission était assez longue, donc je l'ai découpée en plusieurs parties. Deux ou trois, on verra. Allez, c'est parti.
Présentation du sujet de l'émission
par Marie Drucker.
Pour commencer, je voudrais rendre
un hommage appuyé au tailleur rose fuschia de Marie Drucker. Qui eût
cru qu'une Roselyne Bachelot sommeillait en elle?
Les questions que
pose l'émission:
Comment des
médicaments inutiles voire dangereux arrivent-ils sur le marché?
Pourquoi y restent-ils et sont même remboursés par la Sécurité
Sociale?
Comment les
laboratoires parviennent-ils à faire pression sur certains médecins
ou députés pour rester dans la course au profit dans un marché
très concurrentiel?
Plantage de décor:
L'industrie
pharmaceutique française est l'une des plus puissante du monde avec
50 milliards d'euros de chiffre d'affaire par an et plus de 110 000
emplois. 150 nouveaux médicaments arrivent sur le marché français
chaque année (pas que par les labos français bien sûr...).
Ils visent surtout des marchés rentables: des maladies pour
lesquelles le patient prend un médicament tous les jours toute sa
vie (par exemple le diabète, le cholestérol, l'hypertension
artérielle).
Comment les
laboratoires lancent-ils un médicament? L'émission a donc infiltré
un journaliste dans un laboratoire, et une équipe auprès de
visiteurs médicaux et de médecins.
1ère séquence:
Un journaliste se
fait embaucher comme stagiaire au service marketing d'un labo ("un
des plus gros").
On peut critiquer le principe de la
caméra cachée, principe de base de la série d'émissions "Les
Infiltrés". Mais force est de constater qu'en agissant à
découvert ils n'auraient jamais pu récolter les images qui vont
suivre... Personnellement je considère donc que la fin en vaut les
moyens. Cela dit, les images aux trois quarts floutées, c'est pas
très agréable à regarder...
Donc, le labo en
question prépare une grande campagne de communication sur un nouvel
antidiabétique oral (ADO) qui se trouve être sur la liste des 77 médicaments surveillés par l'AFSSAPS.
Nouvel ADO, un des
plus gros labos français, liste AFSSAPS: vildagliptine ou Galvus°
de chez Novartis. Je sens que je vais me faire troller par Novartis.
Le journaliste (qui
fait très bien son candide...) pose
donc la question à sa chef de la présence de ce médicament sur la
fameuse liste. Laquelle lui répond en gros "c'est rien, ça
concerne tous les médicament sortis depuis 2005. Pas de souci".
Alors,
souci ou pas souci: pour être précis, la liste de l'AFSSAPS date
d'il y a 2 ans. Depuis l'AFSSAPS ne s'appelle plus l'AFSSAPS mais
l'ANSM et son site présente
3 listes de médicaments: la liste des médicaments retirés, la
liste des médicaments sous surveillance renforcée, et la liste des
médicaments faisant l'objet d'un Plan de Gestion des Risques. En
gros s'il y a des doutes sur un médicament, on lui colle un Plan de
Gestion des Risques. Si les doutes sont vraiment gros, on le met sous
surveillance renforcée, et quand les doutes ne sont plus des doutes,
on le retire. Sachant qu'il peut se passer des années et donc
beaucoup de victimes avant d'en arriver là.
Donc
les gliptines, puisqu'il semble bien que ce soit d'elles qu'on parle,
sont dans la liste des Plans de Gestion des Risques. Bon. Tous les
médicaments de cette liste ne sont peut-être pas à jeter avec
l'eau du bain, tous ne seront sûrement pas retirés au bout du
compte, mais quand même, à mon humble avis, c'est une GROSSE
incitation à la prudence concernant les prescripteurs. Pour moi, ça
veut dire qu'il est urgent d'attendre avant de prescrire ce
médicament.
Quel a été l'avis de la HAS sur ce médicament: elle l'a classé en
ASMR 5. Le journaliste explique le principe de l'ASMR (Amélioration
du Service Médical Rendu), coté de 1 à 5. Classe 5, ça veut dire,
pas d'amélioration. Donc, ce médicament n'apporte RIEN de mieux
dans le traitement du diabète vis-à-vis des traitements déjà
disponibles.
Il y a des suspicions de
risques cardiaques, cutanés et hépatiques et il coûte 6 fois plus
cher que les traitements de base. Mais il est remboursé par la
Sécurité Sociale (nos
sous faut-il le rappeler...).
Le laboratoire a donc décidé
de commencer sa campagne de promotion dans un département
d'outre-mer où on trouve beaucoup de diabétiques (10% de la
population).
2e séquence:
Une 2e équipe se fait passer
pour des journalistes qui réalisent un reportage sur le diabète
dans ce DOM. Ils accompagnent une visiteuse médicale du laboratoire.
Le labo veut donc fournir
gratuitement aux pharmaciens des machines qui réalisent un test
sanguin de l'hémoglobine glyquée, afin de vérifier si les patients
diabétiques sont bien équilibrés.
Bien entendu faire faire ça
par le pharmacien c'est se substituer au rôle du médecin. Et du
biologiste.
La VM va donc ensuite
rencontrer un médecin généraliste pour lui exposer cette
initiative. Extraits de la conversation:
VM: "On peut entrer, on en
a pour 2 minutes?" (Note:
les VM en ont TOUJOURS pour 2 minutes. Au final ils restent 10 à
15.)
VM: "Ce qui vous
intéresse, dans le diabète, c'est quand même l'Hb glyquée?"
MG: "Je voie pas ça comme
ça. C'est le patient qui m'intéresse."
VM: "Oui mais je veux dire
qu'ils soient contrôlés. (...) Est-ce que vous pensez que c'est une
bonne idée que le pharmacien puisse contrôler l'Hb glyquée du
patient?"
MG: "Non, c'est le médecin
qui fait ça."
VM: "Parce que en fait le
labo nous a proposé de fournir des machines aux pharmaciens."
MG: "Je vous le dit tout
de suite moi je ne vais pas du tout adhérer à ça."
VM: "D'accord. C'est pour
ça que je vous le demande. Nous le but c'est plus l'accompagnement
du patient dans le sens..."
MG: "Attendez, le labo X
n'est pas un labo public?"
VM: "Non, c'est privé"
MG: "C'est privé. On est
dans une société capitaliste. Une entreprise elle n'a qu'un truc à
faire, c'est du fric. Ne me dites pas que votre intérêt c'est le
patient."
VM: "Notre intérêt..."
MG: "C'est de faire monter
le chiffre d'affaires".
VM: "Bien sûr. Mais c'est
que le patient soit bien contrôlé quand même."
MG: "Mais non."
Je
dois avouer que j'ai trouvé ce dialogue (de sourd), très savoureux.
Pour un médecin choisi au hasard, mauvaise pioche, Mme la VM... Ce
médecin a compris 2 choses fondamentales: on soigne un patient, et
pas son Hb glyquée, et ensuite, un laboratoire n'est PAS une
entreprise philanthropique. Ce qu'il fait a TOUJOURS une implication
marketing. Dans mes bras ami généraliste. Je pense que la prochaine
étape, en toute logique, c'est que tu arrêtes de recevoir les VM.
Cependant, si les
généralistes ne sont pas très dociles, c'est pas grave, il y a les
diabétologues!
L'équipe va donc ensuite à
l'hôpital rencontrer une diabétologue.
2e conversation:
VM: "Il y a des médecins
qui ne veulent pas que les pharmaciens le fassent. (Ouh
les vilains...) Nous
on voit ça du côté patient, le médecin il voit ça du côté
business." Alors
là je dois dire que les oreilles m'en tombent. L'hôpital se fout de
la charité, ou comment inverser les rôles...
Ensuite le journaliste
interroge la diabétologue sur le fait que le MG désapprouve
l'installation des machines par le labo.
D: "Je ne vois pas très
bien en quoi ça peut gêner hein... Il y a des ultras qui sont
anti-labo, et qui veulent absolument que tout se fasse indépendamment
des labos. Mais là ça paraît sans raison particulière pour eux"
J: "Vous pensez pas que le
fait que ce soit le labo qui propose ces machines-là, ça va leur
rapporter quelque chose sur leurs médicaments à eux en
particulier?"
D: "Non puisque celui qui
prescrit c'est le médecin et pas le pharmacien." Donc
le labo fait ça par grandeur d'âme.
J: "Et pourquoi ils le
font alors à votre avis?"
D: "Je suis peut-être
naïve... (C'est pas
moi qui l'ai dit!!)
Mais c'est peut-être un service rendu pour le patient. Je vois pas
ce que ça peut leur apporter. En quoi le labo peut avoir un retour
sur ses médicaments puisque le médecin reste libre de prescrire ou
de ne pas prescrire. On va pas prescrire plus le labo X parce qu'ils
ont donné un appareil." Ben
si ma cocotte. C'est démontré. Un conseil, amie diabétologue:
enlève tes œillères de naïveté. Ça te fera du bien.
Ensuite la VM explique au
journaliste comment elle s'y prend pour faire prescrire ses
médicaments par les médecins. Elle paye régulièrement le déjeuner
à quelques médecins. Ça multiplié par chaque VM, "il y en a
qui mangent tous les jours gratuit."
Sinon, le labo paye aussi un
voyage de 8 jours à Paris à 10 médecins pour assister aux
Entretiens de Bichat.
On est dans les DOM je rappelle, donc le voyage ne se fait pas en
TGV, et les médecins sont hébergés au Concorde Lafayette, pas à
l'Ibis du coin.
"Tous les gros labos font
ça". Ah ben, si
tout le monde le fait, alors ça va, je suis moins choquée.
Le journaliste: "Et donc
ils prescrivent beaucoup après?"
La VM: "Ils ont intérêt.
Là on les presse. On leur dit pas vous partez et après vous
prescrivez. Vous prescrivez et après on verra si vous partez. (...)
Et là je vais à la pharmacie pour savoir. De toute façon c'est
donnant-donnant."
Et
là un mot vient de faire irruption dans mon esprit. Il commence par
COR... et finit par ...RUPTION. Mais non, je vois le mal partout.
Et
par ailleurs, j'aimerais savoir comment et de quel droit les
pharmaciens renseignent les VM sur les prescriptions de tel ou tel
médecin. Est-ce légal?
Le
reportage passe ensuite à une soirée de FMC (Formation Médicale
Continue) lors de laquelle le labo s'est payé un "expert"
leader d'opinion de métropole pour parler des "nouvelles
recommandations sur le diabète de type 2"
(Ah oui, celles qui ont été retirées à la demande du FORMINDEP?).
Le billet d'avion, l'hôtel sont payés par le labo, en plus de la
rémunération pour la conférence.
Le
labo refuse que les journalistes assistent à la soirée (déjà
c'est louche).
Elle est donc enregistrée par la fenêtre. Le labo demande aux
médecins auditeurs de laisser leur téléphone à l'entrée pour ne
pas enregistrer ce qui se dit. Bienvenue
à la CIA. Perso je n'ai jamais vu faire ça. En même temps ça fait
longtemps que je ne suis pas allée à une soirée de labo...
Après
vérification du journaliste, le Professeur conférencier n'est en
fait pas Professeur, mais juste docteur. C'est
classe. Ou comment utiliser l'argument d'autorité.
Ça
commence donc par un cocktail au bord de la piscine,
ambiance Médecins Nantis.
Début
de la conférence: Le "Professeur" commence par remercier
le labo X qui l'a si bien reçu. Ça
promet de l'indépendance.
Monsieur le Professeur ne déclare pas ses liens d'intérêt
(obligation
légale je le rappelle; cela prendrait trop de temps sans doute...)
Pour
faire court, le topo est à la gloire du nouvel ADO du labo X.
"Ce
médicament s'accompagne d'une baisse très rapide et très
conséquente de l'HB glyquée". En
appuyant bien sur le "très". C'est bien. Et en terme de
morbi-mortalité? Car souvenez-vous ce que disait cet abruti de MG tout
à l'heure: ce qui nous intéresse, c'est le patient. On ne soigne
pas une Hb glyquée!
Des
effets indésirables? Les risque cardiaques, hépatiques, cutanés,
ne sont même pas cités. Ah si, le "Professeur" dit que ça
peut donner la diarrhée. C'est
sûr, tout de suite ça fait moins peur.
Et il suffit de le prendre à la fin du repas pour l'éviter. Ouf,
on est rassurés.
Là
intervient la VM: "Le dîner est servi, c'est une belle
conclusion." On
sait donc pourquoi les auditeurs sont venus. Ça me rappelle
furieusement ça)
On
ne parle pas du prix 6 fois plus élevé (c'est
vrai la santé ça n'a pas de prix...)
Conclusion
du journaliste: "Le rapport de la HAS ne semble pas avoir gêné
le laboratoire le moins du monde pour lancer son médicament."
Bon,
tout est dit.
3e
séquence.
Nous
nous sommes donc quittés après une édifiante soirée de FMC au
bord de la piscine.
Nous
nous retrouvons dans un tout autre décor: dans les bureaux de la
Revue Prescrire,
pour une interview de son directeur le Dr Bruno Toussaint.
Extraits:
"Le
marché diabétique est très intéressant pour les firmes: c'est une
maladie fréquente, incurable, qui pose des problèmes de santé très
lentement, donc beaucoup de personnes sont amenées à prendre ce
médicament pendant des dizaines d'années."
Concept du "patient captif".
"Ce
médicament (la
gliptine NDLR),
on sait que ça fait baisser un peu l'Hb glyquée (un
peu, hein, pas très beaucoup et très vite...),
mais on ne sait pas ce que ça fait en vrai en terme de complications
du diabète: infarctus, insuffisance rénale, vue." C'est
ça la morbi-mortalité.
"Pour
nous c'est un médicament qui n'est pas recommandé parce qu'on ne
sait pas ce que ça va faire sur les complications, mais par contre
on voit déjà une partie de ses effets indésirables, très
ennuyeux."
Le
journaliste: "On a l'impression que ce médicament est lancé
sur le marché sans qu'on maîtrise les effets indésirables, et qu'on
va le tester grandeur nature?"
Fun
non? Qui veut essayer?
BT:
"Quand on teste un médicament sur quelques milliers de
personnes et qu'on voit des effets indésirables sur 2-3 personnes,
c'est la pointe d'un iceberg. Quand on le diffuse à 100 000
personnes, ça fait beaucoup plus de victimes."
CQFD.
"Ce
cas est-il un cas isolé? Les labos pourraient-ils mettre notre vie
en danger pour mettre sur le médicaments qu'ils estiment rentables?"
Oh
nooon... (hum euh attendez... Distilbène, coxibs, glitazones,
anticholinestérasiques... Vous en voulez d'autres? Non je m'arrête
là.)
La
suite au prochain épisode. Pour voir la vidéo de l'émission, c'est là.
©
Dr Kalee ("ultra anti-labo" selon l'expression désormais consacrée...)
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Mais... l'arnaque.... Elle est où la photo de Marie Drucker ??? Parce que oui, l'émission était sympathique mais on savait déjà... par contre Marie...
RépondreSupprimerJe n'avais pas pu voir l'émission (et j'ai la flemme de regarder en replay oui j'avoue) donc merci pour cette analyse !
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