vendredi 8 novembre 2013

Une grande claque

Hier soir, j'ai lu ça, par DocAdrénaline.
Au fur et à mesure que j'avançais dans les lignes, mon pouls s'accélérait, j'arrêtais de respirer, mon coeur se serrait d'effroi. Je flippais rétrospectivement pour cette jeune femme que je n'ai rencontrée que 2 fois mais toujours avec plaisir. J'étais si loin d'imaginer qu'elle avait pu vivre ça... Je suis restée horrifiée par ce récit. Il m'a accompagné jusque dans le sommeil, et encore aujourd'hui toute la journée.

Et petit à petit mes anciennes certitudes ont commencé à s'effriter. Elles étaient déjà un peu vacillantes. J'avais déjà lu ce témoignage, par Gaelle-Marie Zimmerman.

J'ai toujours pensé qu'une IVG médicamenteuse devait être moins traumatisante qu'une IVG par aspiration. Plus intime, pas de canule, de position gynéco, pas de bruits d'aspiration chelou.
J'ai assisté comme externe à des IVG par aspiration, et j'en garde un souvenir nauséeux...

Et puis j'ai vécu moi-même une fausse-couche (pourtant très précoce), et la douleur est vraiment insoutenable.
Pourtant je n'avais pas ensuite fait le lien avec ce que pouvaient vivre les femmes qui faisaient une IVG médicamenteuse. Je pensais que le processus était quand même plus léger qu'une aspiration, qu'il y avait moins de risques de complications.

J'envisageais, une fois installée, de passer l'agrément nécessaire pour avoir la possibilité de pratiquer des IVG médicamenteuses à mon cabinet en ambulatoire. Je pensais que c'était un service à rendre aux femmes. La possibilité d'une plus grande discrétion, d'un procédé plus simple que de devoir se rendre au Centre Hospitalier pour celles qui n'ont pas de moyen de transport, d'offrir des délais plus courts, et surtout de pouvoir gérer mes patientes, voire les autres qui le souhaitent, sans les exposer à d'éventuels professionnels jugeants ou méprisants de l'hôpital.

Et puis j'ai lu ces 2 témoignages, et maintenant  je me pose de plus en plus de questions. Au vu de ce qu'ont vécu ces 2 jeunes femmes, est-ce vraiment un service à rendre aux femmes que de leur proposer cela?
Je ne suis plus si "enthousiaste" qu'auparavant vis-à-vis de cette technique.

Pourtant les services d'orthogénie poussent les femmes au maximum à utiliser cette technique, bien sûr moins coûteuse en personnel et en matériel.
Certains l'utilisent même hors recommandation jusqu'à un délai fort avancé, genre 9SA (officiellement la technique est possible jusqu'à 6-7SA si mes souvenirs sont bons). Ces personnes militent même pour son utilisation jusqu'au terme du délai légal, soit 14SA. Mais bon dieu, quand je me souviens comment j'ai douillé pour expulser un embryon de 5SA, je n'ose même pas imaginer la douleur possible à plus de 10SA!
Et la violence que cela représente de se voir expulser un sac embryonnaire tout à fait formé!
Je pense que les gens qui militent pour cela ne souhaitent pas faciliter la vie des femmes. Ils s'en cognent de leur bien-être psychologique.
C'est, comme le dit G-M Zimmerman, l'IVG-punition. La femme qui souhaite interrrompre sa grossesse a merdé quelque part (elle n'a pas pris de contraception, ou a fait une erreur dans sa prise...). Elle est donc coupable, et mérite de souffrir pour avoir le droit de se libérer de cette maternité contrainte qui lui pend au nez. C'est ignoble de fonctionner comme ça.
Certaines femmes, comme DocAdrénaline, choisissent d'interrompre leur grossesse à contre-coeur, elles en souffrent sur le plan psychologique. Je ne vois pas l'intérêt de rajouter là-dessus de la souffrance physique.
D'autres femmes, comme G-M Zimmerman, choisissent d'interrompre leur grossesse en toute sérénité, parce que c'est pour elles une évidence. Je ne vois pas l'intérêt de leur imposer une souffrance physique, ainsi qu'une souffrance psychologique liée à la maltraitance médicale, parce que quand même, avorter sans souffrance, c'est pas normal.

Quand je pense que d'aucuns osent employer l'expression "IVG de confort", ça me tue. Non mais qu'ils aillent lire ce genre de témoignage avant de proférer des conneries pareilles!

Bref, je m'égare...

Au final, choisirai-je, lorsque je serais installée, de pratiquer des IVG médicamenteuses?
Je pense que oui, malgré tout, mais avec moults précautions.
Au vu du peu de moyen de la filière d'orthogénie en France, je pense qu'offrir aux femmes une possibilité de prise en charge rapide et proche de chez elles est un plus.
Il n'y a malheureusement pas assez de possibilités de prise en charge en aspiration pour toutes les demandes d'IVG (enfin toutes celles qui pourraient le souhaiter), les places sont réservées en priorité aux grossesses les plus avancées ce qui est logique, ou aux plus jeunes femmes. Alors, si la seule possibilité d'en finir rapidement est une IVG médicamenteuse, autant avoir le choix entre la filière hospitalière ou ambulatoire, et pouvoir si on le souhaite procéder avec un soignant que l'on connaît et en qui (j'espère) on a confiance.

Mais il faudra que je fasse attention à l'information que je délivrerai, à ne pas minimiser les inconvénients et les risques possibles, la douleur, l'hémorragie...
Il faudra que je sois disponible pour répondre aux patientes en cas de question ou de complication. Je pense que ce serait un des rares cas qui justifierait de laisser aux patientes un numéro de téléphone joignable à toute heure. Et que je blinde le traitement antalgique.

Pour terminer, je voudrais remercier DocAdrénaline et G-M Zimmerman d'avoir eu le courage de partager leurs expériences.
Je me rends compte de la richesse des échanges sur les blogs et sur Twitter, et que ces lectures et ces conversations me font évoluer dans mes convictions et dans ma pratique jour après jour.
Il ne faut jamais oublier de se poser des questions.


PS: tout commentaire haineux ou non-constructif sera éliminé. Le débat est ouvert, mais dans le respect de la courtoisie et de la constructivité. Et oui, les hommes ont le droit de participer!

10 commentaires:

  1. J'ai vécu une ivg il y a presque 3 ans. Stérilet... Un rapport dans le mois...
    Je passe sur la réflexion sur le choix de garder ou pas cette grossesse.

    Je voulais juste témoigner de l'accueil qui m'a été fait. Très doux, simple... Du respect de mon choix, sans culpabilisation.
    Et surtout, du fait que cet ivg ait pu être pratiquée comme je le voulais, par mon obstétricien, celui qui avait pratiqué mes deux césariennes, qui avait aidé mes deux enfants à naître...
    Que j'aie pu lui parler, décider avec lui, de pratiquer une ivg par aspiration, et non médicamenteuse. Selon mon choix... Il me suivait, il m'écoutait. Je savais ce que je ne voulais pas.
    Le jour J j'étais en confiance. JAi refusé une anesthésie générale. J'ai même autorisé, sur la demande de mon obstétricien, la présence de son interne, pour observer.

    Aujourd'hui je peux dire que si j'ai bien vécu ce moment, si j'ai pu avancer, sans poids énorme sur la poitrine, c'est grâce à cet accueil, à cette écoute...

    Je ne sais pas si je me serais relevée, d'une expérience aussi affreuse, et triste, que celle qu'à vécu Doc Adré... Que j'admire, pour sa force, qui appelle au respect, et à l'humilité...

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    1. Heureusement que tous les vécus ne sont pas aussi catastrophiques que ces deux-là, et heureusement que certaines patientes comme vous sont bien reçues, bien accompagnées et bien prises en charge. Le contraire serait vraiment desespérant...
      Merci pour votre témoignage.

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    2. Je m'aperçois que ma réponse est postée automatiquement sous le pseudo ''moi''

      Je m'appelle Anne. Idyllia, aussi :) pardon.

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  2. Bonjour,
    Il y a des siècles que je dis cela mais je suis content que mon message passe enfin.
    Et quand je voyais récemment Beaulieu, trimballé sur tous les medias par Caroline Fourest, pour faire la promotion du RU, je me désespérais.
    J'ai déjà écrit que dans les centres d'orthogénie, au téléphone, on entend : "Un test de grossesse, une écho de datation et...un chèque", voilà les paroles humaines que la femme entend à l'autre bout du fil.
    Les paroles lénifiantes des pontes de l'IVG pour toutes sont désespérantes : "Tu ivéègeras dans la douleur", voilà le slogan de ces "progressistes".
    Signé : un homme qui donne le choix et qui conseille (c'est aussi mon rôle) l'IVG par aspiration.
    Bonne journée.

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    1. En effet, un service qui ne propose que l'IVG médicamenteuse jusqu'à un terme très avancé, ou l'IVG par aspiration mais uniquement sous AG, quel négation du choix des femmes (politique du service strasbourgeois du Pr Nisand, ponte français de l'IVG pour ceux qui ne seraient pas au courant). Personnellement j'ai une peur bleue de l'AG, je ferais n'importe quoi pour y échapper. Mais entre ça et une IVG médicamenteuse à plus de 7SA... Choisir entre la peste et le choléra en fait...

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  3. J'étais à 9 SA + 4 jours.
    Ça n'a gêné personne.
    Personne ne m'a jamais remis la moindre plaquette mentionnant un seuil de saignements tolérables.
    À 1 mois et demi post IVG, la grognasse de l'orthogénie, en + de soupirer d'incrédulité méprisante quand j'ai signalé avoir fait un choc, en + de me balancer des remarques nauséabondes sur ma "faute" de contraception qui m'avait amené là, a haussé les épaules de constater que je saignais toujours, comme des petites règles, tous les jours, encore. Elle l'a constaté de ses yeux, n'a pas cherché à comprendre pourquoi donc encore moins les risques éventuels (anémie, infection, etc). Ne m'a conseillé ni prescrit aucun examen complémentaire, ni consultation de contrôle ou que sais-je.
    J'ai eu ces saignements, mineurs mais quotidiens, pendant 2 mois 1/2.
    Jusqu'au jour où aux urgences, en train de prescrire une bio pour un patient, j'ai senti un splouch. Aux toilettes j'ai découvert deux morceaux charnus un peu réticulés, dont 1 de 3 cm, correspondant je suppose à un débris trophoblastique.
    Soigne-toi toi-même, si t'es médecin, c'est aussi ça que j'ai appris. Parce que le soin, celui qui mêle compétences techniques et humanité, tu peux toujours te brosser pour qu'on te l'apporte.

    Je te remercie, Kalee, d'être un médecin, un soignant, pour ces femmes.
    Je regrette de ne pas être tombée sur qqun comme toi.

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  4. J'ai aussi commenté chez Adré...
    Juste mon témoignage, même si ce n'était pas une IVG mais il me fallait expulser un sac embryonnaire car la grossesse était arrêtée.
    Ma gynéco m'a bien expliqué, m'a laissé le choix et m'a redirigé sur l'hôpital, où l'on ne me l'a pas laissé, le choix. 9 SA ms embryon resté à une taille correspondant à 6 SA, pas de battements cardiaques. Médicaments, pas aspiration.
    J'ai pris ces médicaments chez moi (enfin chez mes parents, j'avais été prévenue du risque hémorragique et j'habitais trop loin de l'hosto selon ma gynéco) avec pour consigne de venir à l'hôpital si ça saignait trop (avec une estimation en serviettes de ce que "trop" voulait dire). Puis je devais faire une écho de vérification. Bref, j'ai été bien informée malgré tout, et ça s'est plutôt bien passé en fait.
    L'information de la patiente me paraît capitale, afin qu'elle puisse faire son choix et connaître les risques. Qu'on respecte ce choix ça serait pas mal non plus !
    Malgven

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  5. Ce dernier témoignage me paraît fondamental. Attention tout de même à l'émotionnel. Il y a des IVG chir qui peuvent être très mal vécu et des IVG médicales très bien vécues à 9 SA. L'information donnée est essentielle. Je continue de croire que c'est à la femme de choisir et qu'on se doit de lui donner les moyens de choisir. L'IVG med à domicile doit pouvoir être choisie dans des conditions spécifiques une fois une information exhaustive délivrée.

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    1. Bien d'accord avec toi. Ce qui me chiffonne est l'absence fréquente de choix, et la tendance à faire passer l'IVG méd comme un truc trop simple (un cachet et hop, c'est fini!). Bah oui mais non. C'est pas si simple.
      Mais je suis tout à fait d'accord sinon que c'est à la femme de choisir, c'est bien pour ça que je pense que je ferais quand même les démarches pour faire des IVG en ambulatoire.
      Et puis nonobstant la méthode choisie, il y a la maltraitance institutionnelle dont notre consoeur a été victime au cours de la procédure, qui est proprement inacceptable. Et pourtant j'ai bien peur, malheureusement répandue.

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  6. Je pratique des IVG médicamenteuses, toutes les semaines.
    Quand mes patientes demandent quelle est la meilleure méthode, je réponds qu'elles ont chacune leurs inconvénients et leurs avantages, que ça dépend des cas.
    Et globalement quand nous choisissons ensemble la méthode médicamenteuse, c'est pour de bonnes raisons. Vouloir faire l'IVG au plus tôt, ne pas avoir trop de gestes intrusifs, ... Et quand je pense sérieusement que c'est une mauvaise idée, je le dis : pas après 7SA , accompagnement obligatoire (et pour ces 2 raisons c'est sans appel, je refuse) , compréhension des informations, choix clair, ...
    Et en majorité cela se passe pas trop mal. On leur donne des anti douleurs, voire les injecte si c'est nécessaire, les femmes restent avec nous (en planning) le temps nécessaire (3-4h souvent, rarement 7-8h) et elles repartent avec des consignes.
    Non, une IVG médicamenteuse n'est pas nécessairement moins traumatisante que par aspiration, mais peut l'être.
    Bref, tout ça pour dire que ça peut être une bonne chose de proposer les IVG médicamenteuses, j'en suis convaincue. Quand les autres possibilités sont évoquées, que le choix est éclairé et les conditions bonnes.
    Ce dont vous avez l'air consciente.

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