mercredi 18 septembre 2013

Rendez-vous en terre inconnue

Quand j'ai commencé médecine, je voulais être pédiatre. Parce que j'aime bien les enfants.
J'ai passé le concours, je l'ai réussi (oui, bon, la 2e fois, ça va hein...).
J'ai commencé à apprendre des cours de physio, et puis en 3e année j'ai commencé les stages d'externe. J'ai fait au total 14 stages d'externat de 3 mois chacun.
J'ai fait QUATRE stages de chirurgie, oui, un par an. Parce que le doyen était chirurgien, et il ne voulait pas manquer d'aides opératoire gratuites pour ses blocs. Alors c'était un stage par an en chirurgie, que ça t'intéresse ou pas. J'ai donc fait de la chirurgie orthopédique, de la chirurgie viscérale, deux fois, et de la chirurgie urologique. Croyez-moi, quand vous aimez pas la chirurgie, une année cumulée de bloc opératoire, c'est LONG!
J'ai fait un stage en médecine interne, en 4e année, j'ai rien compris pendant 3 mois.
J'ai fait un stage aux urgences, qui fut formateur (oh, un peu de médecine générale...). Ça m'a permis de confirmer ce que je pressentais, à savoir que les urgences n'étaient pas faites pour moi, ou plutôt que je n'étais pas faite pour les urgences.
J'ai fait un stage en pneumologie, je suis devenue une pro des gaz du sang (oui oui, si vous avez besoin vous m'appelez!). J'ai appris plein de protocoles de chimio qui n'existent plus. J'ai appris la mort.
J'ai fait 2 stages en hépato-gastro-entérologie, j'ai appris à "soigner" les cirrhoses, que j'en ai jamais ou quasi, revu depuis la fin de mes études.
J'ai fait un stage en gynéco-maternité. J'aurais aimé y apprendre à faire un accouchement, malheureusement les sage-femmes en avaient décidé autrement (oui désolée mes amies sage-femmes, mais j'ai vraiment rencontré des "méchantes sage-femmes"). Alors j'ai tenu l'aspiration sur des césariennes.
J'ai fait un stage en neuro-pédiatrie. J'ai appris qu'on faisait des régimes cétogènes aux épilepsies pharmaco-résistantes. J'ai appris à appuyer sur les yeux de nourrissons pendant que j'enregistrais leur rythme cardiaque. Super exaltant. J'ai appris à renouveler des ordonnances de Ritaline.
J'ai fait un stage en réa/USIC. J'ai appris à poser un cathé artériel, une voie veineuse centrale, un drain pleural.
J'ai fait un stage en cancérologie. J'y ai appris encore des chimios, et encore de la mort. 

Pendant ce temps, j'ai alternativement voulu être pédiatre donc, puis gynéco, cancérologue, pneumologue, cardiologue... Mais à chaque fois je me disais "mais ai-je vraiment envie de ne faire QUE ça pendant toute ma carrière", et à chaque fois, la réponse était non.
Vous avez peut-être remarqué, une grande absente dans la liste de mes stages d'externat.
Non, ce n'est pas un oubli. En 6 ans d'études de médecine, je n'ai JAMAIS fait un stage en médecine générale. Je n'ai jamais non plus eu de COURS de médecine générale.
Ah, si, en cherchant bien, en 6e année, j'ai pris un module optionnel de médecine générale. J'ai passé DEUX JOURS dans un cabinet de médecine générale. Waaaaa!!!

En 6 ans d'études, je n'ai jamais appris à diagnostiquer, ni à soigner une rhinopharyngite, une bronchite, une gastro-entérite, une tendinite, un lumbago,une migraine, une dépression.  Je n'ai jamais appris comment suivre un enfant normal, comment accompagner ses parents pour l'allaitement, la diversification, les troubles du sommeil, l'éducation en général. Je n'ai jamais appris quoi faire quand un patient vient déposer sur mon bureau la souffrance qu'il vit chaque jour au travail. Je n'ai jamais appris qu'on pouvait accompagner un patient en fin de vie chez lui.

La médecine générale, persona non grata à la faculté. La médecine générale, pour mes profs de facs, c'était la punition qui m'attendait si je ne révisais pas bien mes cours. Dans la Creuse, bien sûr, pour faire encore plus peur (coucou mes amis de France 3 Limousin!). Ben oui, pourquoi enseigner aux étudiants une médecine qu'au moins 50% d'entre eux exerceront toute leur vie? Des fois que ça leur donne envie d'y aller.

Folle que je suis, j'ai quand même choisi cette spécialité.

Pour mon 1e stage d'interne, je suis allée... à l'hôpital. Normal, pour apprendre la médecine générale.
Pour mon 2e stage d'interne, je suis allée... à l'hôpital. Normal... bon j'arrête vous avez compris.
Pour mon 3e stage d'interne, je suis allée... devinez! Si si, à l'hôpital.
Pour mon 4e stage d'interne, je suis allée... oui encore. Mais j'ai lâché l'affaire, je n'y suis allée que 2 mois, après je suis rentrée chez moi faire un marmot.
Pour mon re-4e stage d'interne, après avoir fourgué le marmot à la nounou, je suis allée... Chez 2 médecins GENERALISTES!!! YOUHOU!! Médecine gé, here I am!
Et là... Vous savez, quand on vous largue dans la piscine alors que vous ne savez pas nager? C'est exactement ce que j'ai ressenti. Parce que je ne savais toujours pas soigner une bronchite, un lumbago, une tendinite... Et pourtant les gens en face de moi, c'est ça qu'ils avaient, pas un lupus, ou une épilepsie pharmaco-résistante.
Et je ne savais RIEN! J'ai eu l'impression pendant 6 mois de me noyer, et de devoir apprendre un métier totalement nouveau. A tel point que pendant plusieurs mois j'étais persuadée que je ne serais jamais assez bonne pour faire médecin généraliste, que je n'y arriverais jamais, et que de toute façon je ferai médecin de PMI (mes premières amours pédiatriques..).

Au bout du compte, après avoir bien ramé, après un 2e stage de médecine générale ambulatoire, après quelques paquets de larmes, j'ai fini par me convaincre que finalement, peut-être, un jour, je serais un médecin généraliste potable. Oh, pas excellent, mais correct. J'y travaille encore.

Donc messieurs-dames des facultés et des ministères, êtes-vous étonnés que les étudiants en médecine rechignent à choisir la médecine générale? Iriez-vous signer, vous, pour un métier que vous ne connaissez qu'à travers la vision biaisée de vos professeurs de faculté qui n'ont pas mis un pied hors de l'hosto depuis 25 ans?
Est-il normal que la médecine générale ne soit pas enseignée pendant le 2e cycle des études de médecine, par des professeurs de médecine GÉNÉRALE?
Est-il normal qu'en NEUF années d'études pour former un médecin généraliste, il n'y ait que SIX MOIS de réservé obligatoirement à un stage de médecine générale ambulatoire? (Allez, 9 mois, au mieux, dans les facs où le stage d'externat est obligatoire...)

Alors moi, quand je serais grande, j'aurais des externes, et je leur apprendrai ce qu'est ce beau métier. Pour qu'au moins, s'ils choisissent de ne pas le faire, ce soit par choix et non par peur et ignorance. Ce que j'aurais aimé que l'on fasse pour moi.

Pour qu'on ne soit pas tous, un jour, #PrivésDeMG.

Pour lire tous les billets des autres participants à l'opération #PrivésDeMG, allez voir en bas de ce billet  d'Euphorite, vous y trouverez la liste complète.

2 commentaires:

  1. J'ai eu UN stage de chirurgie, j'ai détesté et pourtant je n'allais pas souvent au bloc. Si j'avais du faire aide-opératoire pendant 1 an, sincèrement, je crois que j'aurais laissé tomber! tu as toute mon admiration d'avoir tenu. J'espère que les choses vont changer et que nous ne serons pas #PrivésDeMG

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  2. Ben tout pareil
    Chir maxillo, chir obstétrique parce qu'étant un garçon on ne voulait pas de moi en salle d'accouchement, chir pédiatrique, chir cancéro le dernier semestre avant de devenir interne en médecine générale, où j'ai appris à poser des CIP presque tout seul.
    Au moins j'ai les bases pour expliquer ce que c'est à mes patients qui vont être concernés.
    Et je me défends sur les sutures.

    Mais que de temps passé à ce qui me sert désormais de culture générale, au lieu d'approcher et d'apprendre le métier que j'exerce, et que j'ai appris pendant les 6 derniers mois de mes 9 ans de formation, et que je continue d'apprendre sur le tas, et en FMC...

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